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COMPAGNON DE JEANNE D’ARC.

de ce récit, et des crimes inouïs qui l’auraient rendu digne de jouer un rôle cent fois plus infâme encore, au nom de l’histoire, sur laquelle on prétend s’appuyer, il faut le nier. Pour être chargée de crimes, la mémoire d’un tel homme ne donne pas à l’historien le droit de l’accabler outre mesure : or, la part de Gilles aux haines de la Trémoille contre Jeanne d’Arc est une bassesse dont la honte doit lui être épargnée. À l’égard de la Pucelle, Gilles de Rais non seulement ne fut pas un ennemi, mais il fut, on ose dire, l’un de ses plus sincères et de ses plus « fidèles » compagnons. En voici les preuves.

Quand Charles VII se décide à tenter l’expédition d’Orléans, il confie la conduite de la Pucelle et de l’armée à Gilles de Rais, sur la demande de Jeanne elle-même, si l’on en croit un chroniqueur[1]. À quoi ne pousse pas les capitaines cette jeune fille inspirée ? À sa parole, ils se confessent ; ils chassent de leur armée les femmes de mauvaise vie[2] ; ils prient et s’en vont en campagne en forme de procession, à la suite de la bannière de Jeanne, derrière un chœur de prêtres, et au chant du Veni Creator et des psaumes, au risque de paraître, en cas d’insuccès, ridicules aux yeux du monde entier, en se faisant les exécuteurs des ordres d’une pauvre bergère de seize ans, qui ne sait ni « a ni b », comme elle le déclare elle-même. Comment concilier avec cette haine secrète, dont ils auraient été l’instrument caché, de pareils actes de sou-

  1. Procès, J. Chartier, t. IV, p. 41-53 ; 1. IV, p. 363, Monstrelet ; Jean de Wavrin, p. 407 ; Chronique de la Pucelle, Bibliothèque Gauloise, p. 278.

    Un mot de la Geste des Nobles jette singulièrement de jour sur ce fait : « Si requiert la Pucelle, y lisons-nous, que pour ce conduire, plust au Roy de lui bailler telle gent et en tel nombre qu’elle requerrait. » La Chronique de la Pucelle continue en ces termes : « Alors le Roy ordonna que tout ce qu’elle requerrait luy fut baillé ; puis la Pucelle prinst congé du Roy pour aller en la cité d’Orléans. » (Edit. de M. Vallet de Viriville, p. 280.)

    N’est-ce pas dire clairement qu’elle désigna Gilles de Rais pour l’accompagner, et que, pour qu’elle le demandât, elle avait reconnu en lui un dévouement à sa personne et à sa mission, sur lequel elle croyait pouvoir compter ?

  2. Chronique de la Pucelle ; Mystère du siège d’Orléans, t. V, p. 490 ; t. III, p. 106.