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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

Dans les champs, dans les airs, tout remplis d’harmonie,
De voir s’ouvrir la fleur et l’oiseau voltiger !
Moi, je songeais toujours au soleil qui poudroie ;
Le frais gazon n’était que l’herbe qui verdoie ;
Et comme Anne autrefois au sommet de la tour,
Épiant du salut l’espérance dernière,
Au loin, si quelque vent soulevait la poussière,
Des cavaliers trop lents je hâtais le retour :

Car Barbe-Bleu levait sa hache meurtrière ;
Il criait en grondant : « Trop longue est ta prière ! »
Et je n’entendais plus avec un long soupir :
« Anne, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? »

Il était temps : déjà sur sa femme éperdue,
Le géant abaissait sa hache toute nue !
Les nobles cavaliers arrivent à l’instant,
Fondent sur Barbe-Bleu, le renversent à terre,
Et sans lui donner temps de faire sa prière,
Percé de mille coups, le baignent dans son sang.
Barbe-Bleu cependant revit dans la ruine ;
Cet homme au cœur si dur est devenu rocher ;
Dans les murs mutilés sa face se dessine ;
J’ai vu trembler sa barbe et ses yeux flamboyer !

Sa main brandit encor la hache meurtrière ;
Le vent dans les créneaux murmure une prière,
Et parfois l’on entend avec un long soupir :
« Anne, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? »[1]

  1. Si nous en croyons l’autorité d’un homme, qui fait foi en matière d’antiquités, il n’est pas jusqu’à la peinture qui n’ait consacré le souvenir de Barbe-Bleue, confondu avec celui de Gilles de Rais. M. Benjamin Fillon, si versé dans les antiquités poitevines et vendéennes, atteste avoir vu jadis, dans la chapelle du manoir d’Asson, situé entre Montaigu et Tiffauges, d’anciennes peintures murales représentant l’histoire de Barbe-Bleue. Souvenir précieux ; les d’Asson, en effet, sont issus de la famille de Laval. Ce souvenir atteste donc les traditions de la famille de Gilles de Rais lui-même. Nous avons visité l’humble chapelle : hélas ! je ne sais quel artiste en a fait badigeonner les murs à la chaux blanche. Cependant on devine encore qu’ils étaient peints ; la voûte de bois représente l’azur du ciel, illuminé de nombreuses étoiles d’or. Or, on sait que, dans toutes les églises et les chapelles de ce genre, qui sont encore assez nombreuses dans nos contrées, quand la voûte était peinte, les murailles l’étaient également. Sans vouloir tirer du témoignage de M. Benjamin Fillon une preuve décisive, puisque les peintures n’existent plus, son nom, sa science, l’exactitude scrupuleuse qu’il apportait dans ses recherches, ne permettent pas cependant de rejeter complètement son autorité.

    Citons enfin comme dernière preuve de nos traditions locales, un témoi-