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TRADITIONS ORALES.

même réponse. Essayez plutôt vous-mêmes, si le hasard vous mène en ces contrées ; dites aux habitants tout ce que vous savez de la vie de Gilles de Rais : qu’il n’eut jamais qu’une femme, que cette femme lui survécut, qu’il massacra une multitude d’enfants. Ils vous croiront ; car ils vous regarderont justement comme des savants, qui ont feuilleté de gros livres ; mais il restera une conviction, que toute votre science et toutes vos affirmations n’atteindront jamais : c’est que Barbe-Bleue habita, pour les populations vendéennes, Tiffauges ; pour les populations angevines, Champtocé ; pour les populations bretonnes, Machecoul. Il faut les croire, car ils le savent mieux que personne, mieux que tous les livres, mieux que tous les parchemins : ils l’ont appris de leurs aïeux, qui l’avaient eux-mêmes reçu de leurs pères ; et c’est ainsi qu’ils vous ramènent en quelques pas au xvie et même au xve siècles, qui furent si pleins du souvenir de Gilles de Rais et de ses cruautés. La bête d’extermination a laissé de telles traces de son passage parmi ces populations ! Quelle épouvante mortelle avait traversé tous les cœurs ! Les nôtres en ont gardé comme un long frisson de terreur, qui nous a été transmis, d’âge en âge, de père en fils, comme un mal héréditaire. Ainsi, cette tradition identique, universelle, est encore constante.

Nous avons entendu des vieillards plus que nonagénaires : ils nous ont affirmé que leurs récits venaient des vieux d’autrefois. Pour ne parler que du pays de Tiffauges, dont les traditions surtout nous sont familières, le terrible baron y demeure toujours vivant, non plus, il est vrai, avec les traits primitifs de Gilles de Rais, mais avec la physionomie sombre et légendaire de Barbe-Bleue. Un jour, en parcourant les ruines du château, nous avons rencontré, sur la chaussée rompue de l’étang de la Crûme, au pied de la grosse tour, un groupe de touristes assis sur l’herbe : au milieu, une vieille femme du pays y parlait de Barbe-Bleue. Cette femme vit encore ; elle est née dans l’enceinte de la forteresse, où sa famille habita depuis trois siècles jusque vers 1850,