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LES JEUNES FILLES DE PLÉEUR.

d’ailleurs, rien même ne porte à croire que ce nom, avec le conte qui s’y rattache, ne sont pas postérieurs à l’historien breton : il n’y a pas même en cela matière à l’étonnement, quand on réfléchit que chez aucun de nos vieux auteurs français, si avides de légendes, si friands d’allusions aux souvenirs du peuple, on ne trouve de traces, avant Perrault, ni de Barbe-Bleue, ni de ses sept femmes, ni de ma sœur Anne, cependant si populaires. Mais si l’historien breton se tait, des témoins plus autorisés ont parlé à sa place. On ne peut citer, dit-on, de Gilles de Rais rien, qui, transmis d’âge en âge, ait un caractère de perpétuité suffisante pour en faire une tradition locale : là est l’erreur manifeste, c’est là que triomphe notre opinion.

Complainte et légende, naïfs récits du foyer, dans toute la Haute-Bretagne, la Vendée, le Poitou et l’Anjou, tout s’accorde merveilleusement à désigner Gilles de Rais comme le vrai Barbe-Bleue. Voici d’abord une complainte bretonne, citée par M. d’Amézeuil et qui offre un trait de ressemblance bien frappante avec l’histoire du procès : elle chante la reconnaissance du peuple pour l’homme qui se leva contre le bourreau pour défendre et venger les victimes. Avec quelle précision elle désigne le vrai Barbe-Bleue, le pays qu’il habita, le vengeur et le juge, chacun pourra s’en convaincre. Elle est d’une naïveté charmante[1] :

Un vieillard. — « Jeunes filles de Pléeur, pourquoi vous taisez-vous donc ? pourquoi n’allez-vous plus aux fêtes et aux assemblées ?

Les jeunes filles. — « Demandez-nous pourquoi le rossignol se tait dans le bocage, et qui fait que les loris et les bouvreuils ne disent plus leurs chansons si douces.

Le vieillard. — « Pardon, jeunes filles, mais je suis étranger ; j’arrive de bien loin, de par delà le pays de Tréguier et de Léon[2], et j’ignore la cause de la tristesse répandue sur votre visage.

  1. Le texte est en breton.
  2. Jean de Malestroit avait été d’abord évêque de Saint-Brieuc.