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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

interdite enfin dans l’Enfant de la Bonne Vierge, une des plus belles légendes des frères Grimm[1] : tout cela, en vérité, prouve-t-il que le conte de Barbe-Bleue remonte aux temps préhistoriques ? aux Grecs ? à Eschyle ? qu’il vient de la Perse, du Cachemire, des bords de la Néva ou des rives de Zanzibar ? Qu’il y ait dans les récits de tous les temps et de tous les pays des traits de ressemblance avec ceux de Ma Mère l’Oye ; qu’importe ? On rirait du critique qui mettrait Saturne ou Thyeste parmi les ancêtres de Croquemitaine ; car il y faudrait encore ajouter tous les croquemitaines du nouveau monde. Deux fleuves, qui coulent dans le même sens, ne sortent pas nécessairement d’une même source et peuvent avoir un cours plus ou moins long : ainsi, dans les œuvres de l’esprit humain, certaines choses ont des traits d’analogie qui n’ont pas pour cela la même origine. La Loire et la Garonne coulent à peu près dans la même direction vers le même océan et viennent cependant, l’une des Cévennes, et l’autre des Pyrénées. Ainsi donc, clefs magiques et chambres interdites, futilité !

Futilité également toutes les barbes que l’imagination des peuples ou des écrivains a colorées d’un bleu d’azur. Croirait-on qu’on ait pu dire, à l’appui de cette opinion : « Mais voyez donc combien sont nombreuses les barbes bleues dans toutes les mythologies. Le Rig-Véda[2] nous montre Indra secouant les poils de sa barbe d’azur ; parmi les monuments figurés de l’antiquité égyptienne, M. Husson cite un dieu Bès à la barbe azurée ; Zeus lui-même, Jupiter, n’avait-il pas la barbe et les sourcils tellement noirs qu’ils en paraissaient bleus comme le plumage des corbeaux ? » Cette grave démonstration a toujours excité un éclat de rire chez tous ceux à qui nous l’avons lue. Risum teneatis, amici ! Songez que le dieu Bès était peut-être l’emblème du Nil Bleu et que l’origine du conte serait singulièrement rehaussée s’il venait des

  1. Ch. Deulin. l. c., p. 976.
  2. Traduction Langlois », t. IV. p. 170.