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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

précédée, mais qu’elle ait pu naître après elle, si elle l’a suivie. Remarquons bien d’ailleurs qu’elle est universellement répandue parmi le peuple dans tout le pays vendéen et breton des environs de Clisson et de Tiffauges, où celle de Perrault est inconnue. On cherchera où l’on voudra l’explication de ce fait : dans notre sentiment, cette version curieuse n’existe que parce qu’elle est la forme primitive du conte que Perrault a remanié. Charles Perrault lui a enlevé tous les traits, qu’il jugeait indignes des mœurs du xviie siècle, pour lui donner les détails réclamés par le bon ton et la politesse de la société de Louis XIV. Il semble que l’auteur, qui prête à Barbe-Bleue « des maisons à la ville et à la campagne, des carrosses, de la vaisselle d’or et d’argent, des sofas », et fait des frères de ma sœur Anne, de l’un un « mousquetaire » et de l’autre un « dragon », ait été choqué qu’une aussi grande dame que l’épouse infortunée de Barbe-Bleue, eût, au moment dernier, d’assez puériles préoccupations pour désirer revêtir encore ses habits de noces. Ne devait-elle pas plutôt, en bonne chrétienne, demander un instant pour prier Dieu ? Charles Perrault l’aura pensé, car il était chrétien ; il appartenait à cette société si profondément religieuse, dont semblent avoir été les deux frères de sœur Anne, l’un « dragon » et l’autre « mousquetaire. »

Mais ce qui s’harmonise si bien avec les idées religieuses et les mœurs du xviie siècle, s’accorde moins heureusement avec les idées et les mœurs du conte. Le conte, dans son essence, n’est pas chrétien et il ne le devient que par accident : par les idées, par l’inspiration, par les personnages, par le surnaturel tout particulier dans lequel il se meut, le conte appartient à je ne sais quel monde étrange, imaginaire, très distinct du mythologisme antique, non moins fermé peut-être aux idées chrétiennes, et ne tient que par un lien très caché à l’histoire. Fénelon, qui avait un sens si profond des choses, avait admirablement compris la nature du conte : aucun de ceux qu’il a faits n’est ou mythologique, ou chrétien, ou même historique : ils sont tous ce que les eût créés