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STABILITÉ DU TYPE.

meilleur, sans fiel pour ce qui ne mérite pas la haine. Sans cesse harcelé par les aimables lutins qui l’environnaient, et pressé avec l’opiniâtreté propre à l’enfance de dire toujours des contes nouveaux ou de répéter les anciens, il n’était pas moins habile à les modifier qu’à les créer tout d’une pièce :


           Toujours ces quatre douces têtes
           Riaient, comme à cet âge on rit,
           De voir d’affreux géants très bêtes
           Vaincus par des nains pleins d’esprit.


C’est ainsi qu’il redisait souvent, toujours alerte, toujours intéressant, les dits et gestes de ce vilain Barbe-Bleue, si peu délicat pour ses femmes et si terrible pour les petits enfants ! Sous son mobile pinceau, les circonstances, les traits variaient à l’infini. Mais, avec toutes ses formes, Barbe-Bleue était toujours le terrible seigneur que chacun savait.

Or, l’imagination des peuples est comme celle des grands-pères, féconde aussi à modifier, mais non moins fidèle à conserver le type du cruel personnage. Il ne faut donc voir dans la version de Perrault que l’une de ces variantes nombreuses, identiques dans le fond, diverses par les détails, sortie peut-être de l’imagination populaire, peut-être aussi de la pensée et de la plume de l’aimable écrivain. Un jour lui aussi devint grand-père ; facile et complaisant, c’est lui-même qui le raconte, il ne se fit pas scrupule d’inventer ou de modifier ses charmants récits. Seulement la version qu’il nous a laissée de Barbe-Bleue, confiée à l’écriture, eut désormais une forme durable, et le talent de l’écrivain, s’unissant à l’intérêt tragique du drame, lui a donné l’immortalité. Aussi, dès ce moment, pour les hommes qui lisent, — on verra plus tard le motif de cette restriction, — il n’y eut plus qu’un seul conte de Barbe-Bleue, celui de Charles Perrault. Ce conte est le drame le plus émouvant peut-être de toute notre littérature, et les quatre pages qui le composent sont des mieux écrites de la langue française. Il ira loin dans les âges futurs. Il ressemble aux fables de La Fontaine : on les