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DEUX MÉMOIRES.

tateurs le cri du centurion : « Nous avons brûlé une sainte ! » Gilles, hautain d’abord et méprisant, est forcé d’avouer la vérité : la justice elle-même, accoutumée à toutes les laideurs humaines, demeure stupéfaite au récit de ses crimes ; mais bientôt la foi reprend ses droits et le repentir ramène un dernier rayon de beauté sur ce visage flétri et défiguré. La religion qui soutient l’une dans son innocence, relève l’autre de son abjection. Mais Jeanne est délaissée au moment de la mort ; ses cendres profanées sont jetées à la Seine ; Gilles obtient de l’affection des siens et de l’indulgence de ses juges, pour son corps d’être sauvé du feu ; pour son âme les prières de l’Église ; pour sa mémoire un tombeau honorable dans un lieu célèbre. Mais le coupable de Nantes n’en est jamais sorti lavé de la tache ineffaçable qu’il porte au front, et sa mémoire est demeurée ensevelie sous sa honte ; toute tentative de réhabilitation a échoué et il ne se rencontrera jamais, chez aucun peuple et dans aucun temps, d’homme assez misérable pour entreprendre l’apologie de Gilles de Rais. Hélas ! il s’est trouvé un homme assez vil, qui, même après la résurrection glorieuse de la jeune fille, a osé insulter à sa gloire virginale. Trois jours encore, et elle sortira vivante de la mort et de la honte, pure, belle, vierge, héroïne et martyre, l’honneur de son sexe, gloire et doux génie de la France ! Après l’indigne caricature par un crayon impie, le portrait a été fait par un pinceau épris de sa beauté, et, à ses cendres dispersées, a été construit, de ce marbre pentélique plus blanc que le lys, un tombeau où sa mémoire demeurera éternellement vivante. La postérité, sévère et juste, y a rendu l’immortelle et angélique figure de Jeanne sur cet airain de Corinthe, où l’or allié au bronze défie le temps et la rouille. L’un des fils de la France a fait la contre-partie d’un valet de la Prusse : œuvre de justice plus encore qu’œuvre d’art, dans un ouvrage pourtant où l’art tient une si grande place[1]. Ainsi la vertu a fini par

  1. Hist. de Jeanne d’Arc, par M. Wallon.