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GILLES DE RAIS.

monstre. Ses héritiers l’ont affirmé et plusieurs historiens l’ont répété après eux ; mais l’histoire ne peut souscrire ni aux dires des héritiers, ni aux jugements des historiens.

En toute vérité, l’on a pu dire, en arrivant au récit de ses crimes, ce que Suétone a dit de Caligula : « Jusqu’ici j’ai parlé d’un homme ; ce que je vais raconter est d’un monstre. » Il est de certains écrivains qui prétendent que les lois de la nature sont trop générales pour admettre des monstres, et que certains crimes ne se peuvent expliquer que par la folie. Encore bien qu’ils soient rares pour l’honneur de l’humanité, ce serait aller contre les faits de ne pas reconnaître de monstres dans le monde moral comme dans le monde physique. De même qu’il y a des corps contournés qui excitent le rire ou les larmes ; comme il y a des arbres rabougris et méconnaissables, il y a également des natures défigurées par le mal et nanties de tels vices et de telles passions, qu’on ne reconnaît enfin plus rien d’humain dans ces êtres, où tout est devenu bestial. Quelques raisons qu’on apporte pour expliquer les bassesses cruelles de tel homme, il est difficile d’y voir autre chose qu’une bête fauve dirigée par une intelligence humaine. Or, celui qui est tombé à ce bas degré d’abaissement, n’est plus un homme : c’est un monstre. L’homme, à la vérité, n’est ni Dieu ni bête mais, il se peut faire, par sa volonté, qu’il devienne bête ou Dieu. La foi nous dit mieux encore que l’histoire, qu’il peut monter vers la perfection par ses vertus, comme il peut descendre vers sa dégradation par ses vices ; et cette ascension dans le bien, comme cette chute dans le mal, s’explique autrement que par la folie. Ainsi, on ne comprend pas que, pour se rendre raison de ces effets surprenants, un écrivain aille chercher dans la démence l’explication de tels faits ; mais on conçoit fort bien que l’intérêt y conduise.

Cette opinion a servi de base au Mémoire des héritiers de Gilles de Rais, écrit sous l’inspiration de son frère, René de la Suze, devenu l’héritier naturel d’Ingrandes et de Champtocé, du chef de sa nièce, Marie de Rais ; et elle a été