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GILLES DE RAIS.

le prouver, le livre si curieux de Jean Bodin d’Angers[1], les débats de la Tour-Neuve le démontreraient encore suffisamment. Mais à ce moment, où l’Église catholique, par la voix des conciles, des papes et des évêques, et de concert avec les pouvoirs temporels, s’élevait avec tant de force contre la pratique des sciences secrètes, la justice n’avait encore guères atteint que des hommes ignorés, ignorants eux-mêmes pour la plupart, sans feu ni lieu, sans puissance personnelle, sans appui étranger, abandonnés par conséquent sans ressources à la rigueur des tribunaux. En s’attaquant résolument à l’un des premiers personnages de la Bretagne et de la France, l’Église affirmait sa puissance sur tous ses sujets indistinctement, nobles ou roturiers, grands ou petits, puissants ou faibles, et montrait que, dans une justice égale pour tous, il ne saurait y avoir acception de personne : c’était donc enseigner que, pour grands qu’ils fussent, tous les hommes étaient soumis à ses lois, et l’autorité grandissait d’autant dans l’esprit des peuples. Aussi, comme le remarquent nos archivistes, le grand nombre des copies de ce procès fameux ne peut venir que du soin avec lequel l’Église s’empressa de publier partout sa victoire. Rien ne donne, en effet, plus d’autorité aux lois, que de les appliquer, dans toute leur rigueur, aux personnes dont la qualité est aussi grande que le crime.

Cet événement, d’ailleurs, si propre à relever l’autorité de l’Église, n’eut pas un contre-coup moins retentissant dans tout l’État. Il n’y avait guères d’exemples qu’un homme de ce rang fût puni. Depuis trop longtemps, en effet, la féodalité, dégénérée par l’excès même de son pouvoir, en était venue, grâce surtout aux derniers troubles de la France, à une puissance redoutable et dangereuse à l’État lui-même. Les grands seigneurs, dont la force avait augmenté chaque jour par la faiblesse du pouvoir royal et par les services qu’ils lui avaient rendus, se regardaient trop souvent comme

  1. De la Démonomanie, 1570. Ce livre est dédié à l’historien de Thou.