Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
LE RÔLE DE JEAN V.

zèle de Jean V[1] ? Ces deux motifs sont probables ; mais il convient, croyons-nous, d’ajouter un troisième motif plus particulier encore au duc de Bretagne.

Si l’avarice, dont l’accusent généralement les historiens, pesa sur ses déterminations, la crainte de passer pour avoir protégé trop longtemps un pareil coupable, fut certainement pour beaucoup dans l’ardeur qu’il mit enfin à le poursuivre, dès qu’il fut une fois condamné par la justice ecclésiastique. Les crimes de Gilles de Rais venaient d’être manifestés au grand jour : or, on s’en souvient, le duc avait redoublé ses bienfaits envers la personne du coupable au moment où celui-ci multipliait ses forfaits : les peuples n’avaient pas oublié qu’il s’était fait le protecteur de Gilles contre la famille de Rais et contre le roi de France ; et comme la foule s’en prend naturellement à tous ceux, qui, de près ou de loin, concourent à ses malheurs, il était à craindre, dans l’état d’exaspération où étaient les esprits, que les accusations les plus graves ne s’élevassent, du milieu du peuple, jusqu’aux oreilles du duc lui-même. Le meilleur et même l’unique moyen d’étouffer tous ces soupçons, était de faire justice à la multitude en pressant la punition du coupable : tel fut, selon nous, le principal motif qui engagea Jean V à donner l’ordre, aussitôt après les sentences de l’évêque et du vice-inquisiteur, de poursuivre activement le maréchal : cet ordre fut exécuté avec une rare promptitude. Quant aux affirmations des historiens modernes, elles ont pour elles la vraisemblance des faits, la nature même et la marche des procédures civiles ; mais, de ces seules raisons, l’histoire ne forme pas une démonstration rigoureuse. Seulement, s’il est vrai que les craintes personnelles, la cupidité ou la vengeance ont agi plus puissamment sur Jean V que l’amour de la justice et l’horreur du crime, encore qu’il aurait à venger ses injures et à garder les terres qu’il avait acquises

  1. Désormeaux. Histoire de la maison de Montmorency, t. I p. 126.