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SON REPENTIR.

Ces graves paroles, tombant d’une telle bouche et prononcées avec cette autorité que donne un grand exemple, firent sur la foule et sur les juges la plus profonde impression : c’était pitié de voir ce jeune homme de trente-six ans défiguré par le vice. L’émotion ne fit que s’accroître encore, quand, après la lecture en français des aveux qu’il avait faits la veille, le malheureux reprit lui-même, avec des larmes dans la voix et la rougeur au front, le triste et lamentable récit de tous ses crimes. Il parla longtemps au milieu d’un silence profond, que coupaient seulement par moments des frémissements de surprise : meurtres des enfants, tortures qu’on leur faisait subir dans une mort lente et calculée avec art ; ses infamies et celles de ses complices, orgies dont celles de Caprée n’éveillent pas l’idée ; évocations des démons ; cérémonies ou sanglantes ou ridicules qui les accompagnaient, il dit tout, et ses espérances, et ses lassitudes, et ses remords, et les demi-réveils de sa conscience endormie. « Telle fut cette confession, que ceux qui l’entendirent, juges ou prêtres, habitués à recevoir les aveux des crimes, frémirent d’apprendre tant de choses inouies et se signèrent..... Ni les Néron de l’Empire ni les tyrans de la Lombardie n’auraient eu rien à mettre en comparaison ; il eût fallu ajouter tout ce que recouvrit la Mer-Morte, et par-dessus encore les sacrifices de ces dieux exécrables qui dévoraient des enfants[1] » Quand il eut terminé, un profond silence, mélangé d’étonnement et de pudeur, régnait dans toute la salle ; Gilles lui-même, écrasé sous le poids de la honte, avait baissé la tête. Bientôt, cependant, il la releva et le chrétien repentant apparut dans le criminel : « Ah ! dit-il, si je n’ai pas sombré au milieu de tels périls pour mon âme, j’en suis redevable, je le crois, à la clémence de Dieu et aux suffrages de la sainte Église, en qui j’ai toujours mis mes espérances et mon cœur et qui m’ont secouru avec tant de miséricorde ! Vous tous, peuple qui m’entendez, et

  1. Michelet, Hist. de France, t. V, l. c.