Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/296

Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
LES PREMIÈRES SÉANCES.

sentiments du peuple, en voyant, sur le banc des accusés, traité comme un criminel, l’homme qui lui avait pris son sang, ses plus douces espérances ; l’homme qui depuis si longtemps était l’objet de tant de haines et le sujet de tous ces entretiens. Car, bien que pendante encore, la cause, dans l’esprit du peuple, était jugée : pour lui, l’accusé était certainement le coupable. Pour les juges, il n’était encore qu’accusé ; lui, cherchait à se faire passer pour innocent. Si on veut savoir quelle fut l’attitude de Gilles devant ses juges, il parut la tête haute, avec un regard dédaigneux, comme aux jours de sa puissance, fort encore de l’excès de son pouvoir passé et du prestige évanoui de son nom.

Ce déploiement de dédain fut inutile. D’abord l’huissier exposa aux juges qu’il avait cité Gilles à comparaître en personne pour ce jour même, 8 octobre. Immédiatement après lui, le promoteur, séance tenante, reprit en son propre nom l’assignation faite par l’huissier et articula contre Gilles, de vive voix, tous les chefs d’accusation, se réservant, bien entendu, de les lui donner par écrit en temps et lieu convenables. Ainsi mis en demeure de répondre à l’accusation formelle portée contre lui, le maréchal de Rais brise ouvertement avec les engagements solennels qu’il avait pris le 24 septembre ; il déclare, mais seulement de vive voix et non par écrit, qu’il en appelle de l’évêque de Nantes et du vice-inquisiteur. Lors même qu’elle l’eût voulu, la justice ne pouvait se montrer faible. Sur-le-champ, ses juges lui répondent qu’un appel de cette nature, fait de vive voix et non par écrit, dans une semblable cause, est de droit nul et « frivole ».

Dans une cause si grave, en effet, l’appel de Gilles était nul. Si l’on voulait faire droit à la plainte « lamenteuse » des parents, on devait passer sur ses récriminations et ses colères : la justice envers les victimes exclue les faiblesses envers le bourreau. Il était évident pour les juges que l’accusé cherchait à se soustraire au tribunal, devant lequel il était légitimement cité : c’eût été s’associer à ses ruses que