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LES DOCUMENTS.

savoir si on la lui appliquera  ; et, quand on s’y est arrêté, il suffit à Gilles d’une prière, il suffit qu’il promette de parler enfin et d’avouer ses crimes pour obtenir un délai ; en tout cas, si la torture lui doit être appliquée, ce ne sera qu’après avoir entendu tous les témoins et déchiré tous les voiles. La passion donc n’apparaît nulle part dans ces débats ; partout, au contraire, règnent la justice, la prudence, la modération. Si tout n’est pas encore parfait dans cette procédure, tout non plus n’y est donc pas mauvais[1].

Pour conclure, disons donc que les procès-verbaux de

    introduit depuis environ cinq cents ans…, mais les officiaux n’en usent plus en France. » Fleury, Institution au droit ecclésiastique (Édit 1771, t. II, p. 126.)

    Le procès de Gilles de Rais montre que la torture était employée en fait, sinon en droit. Bien qu’elle n’ait pas été appliquée au coupable, on peut croire qu’elle n’était pas toujours une menace vaine. Enfin, il faut remarquer que le procès de Gilles eut lieu selon les règles de l’inquisition ecclésiastique commune, profondément distincte de la procédure d’inquisition appliquée envers les hérétiques et spécialement confiée à des commissaires particuliers, qui devinrent en fait indépendants des évêques : inquisitio hæreticæ pravitatis ; inquisitio delegata. Bien que le vice-inquisiteur ait été appelé, par l’évêque de Nantes et du consentement de Gilles, à jouer un rôle dans les débats, ce rôle n’est qu’un rôle effacé. On ne voit rien dans la procédure suivie envers Gilles de Rais, qui rappelle les rigueurs de la procédure inquisitoriale employée contre les hérétiques, « hæreticæ pravitatis. » Dans cette procédure, en effet, « en premier lieu, les dépositions des témoins continuèrent à être communiquées à l’accusé, mais sans les noms de ceux de qui elles émanaient : « Ne testium nomina signo vel verbo publicentur,  » dit un concile de Narbonne de l’an 1235. En fait, les dépositions étaient même démembrées et communiquées par pièces et par morceaux, afin que l’accusé n’en pût connaître l’auteur. La torture devint aussi un moyen ordinaire d’instruction. » V. Esmein, p. 66-78.

    La liberté de la défense était donc considérablement amoindrie. Dans le procès fait à Gilles de Rais, on ne rencontre aucune de ces rigueurs fâcheuses. Si tout n’est pas parfait encore dans cette procédure, si on accorde trop à l’écriture et pas assez à la parole, elle marque cependant un grand progrès sur la procédure contemporaine des tribunaux civils, où le débat oral avait un rôle prépondérant ; et on trouve un exemple frappant quand on compare les deux procès faits à Gilles de Rais. Dans l’un, en effet, l’enquête est sérieuse, rédigée avec soin, les noms des témoins communiqués à l’accusé avec leurs dépositions recueillies par écrit, la défense assurée ; dans l’autre, l’enquête est rapide, tronquée, rédigée à la hâte, avec une négligence déplorable ; nulle confrontation de témoins, une accusation sans réplique, la défense considérablement compromise.

  1. Proc. civ., fo 372.