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LES DOCUMENTS.

le maréchal de Rais en fait de dépravation morale, le marquis de Sade ; » encore faut-il craindre que l’histoire ne soit ici bien au-dessous de la vérité.

Un dernier mot est ici nécessaire avant d’achever ce que nous avions à dire des juges et des procès. L’étude de ces documents fait ressortir, aux yeux même des moins attentifs, la prudence, la modération et la justice du tribunal ecclésiastique, qui jugea le maréchal de Rais. Sans examiner si, dans ce procès, par considération pour un homme si haut placé, le tribunal dérogea aux règles ordinaires de la justice ecclésiastique, il est bon cependant de faire remarquer que rarement, à cette époque, les juges n’accordèrent mieux la faveur avec la justice, la fermeté avec la modération, les sévérités de l’accusation avec les droits de la défense. Du commencement de ce procès jusqu’à la fin, on voit se déployer un luxe de précautions qui fait le plus grand honneur à la justice : les séances sont fréquentes, les interrogatoires multipliés ; tout se passe, non point dans l’ombre d’un palais ducal, comme à Venise, mais dans la pleine lumière du jour, sous les yeux de la foule ; bien loin d’en appeler « à des personnes infâmes », comme « aux seuls témoins entendus par les tribunaux d’alors », c’est des personnes les plus honorables qu’on recueille les dépositions ; ces plaintes, au lieu d’être cachées à l’accusé, lui sont communiquées publiquement et lues plusieurs fois en latin et en langue vulgaire ; il est lui-même confronté avec les co-accusés, ses complices, appelés comme témoins, et dont plusieurs ne sont pas autre chose en réalité[1]; non-seulement on lui

  1. (Conc. Later. 24, de Acc. V. i). « Debet igitur esse præsens is, contra quem facienda est inquisitio, nisi se per contumaciam absentaverit, et exponenda sunt ei illa capitula de quibus fuerit inquirendum, ut facultatem habeat defendendi se ipsum. Et non solum dicta, sed etiam nomina ipsa testium sunt ei, ut quod et a quo sit dictum appareat, publicanda, nec non exceptiones et replicationes legitimæ admittendæ ne per suppressionem nominum infamandi, per exceptionum vero exclusionem deponendi falsum audacia præbeatur. »

    Sur la procédure criminelle de l’Église, ou peut consulter Biéner : Beiträge zu der Geschichte der Inquisitions — Prozesses, p. 16-78 ; — Du Boys, Histoire du droit criminel en France, p. 74-85 ; — Faustin-Hélie, Traité de l’instruction