Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.
240
GILLES DE RAIS.

pour mépriser sa défense et rendre ses menaces vaines par leur révolte, le monde catholique, de temps en temps, a paru osciller sur ses bases, et la civilisation et le progrès chrétiens, les seuls qui soient féconds pour le bonheur réel de l’humanité, ont éprouvé dans leur marche un mouvement d’arrêt ou de recul. Parmi les plus chers d’entre ces privilèges, l’Église a toujours compté l’inviolabilité de ses clercs et l’inviolabilité de ses temples. Quiconque faisait violence à un clerc, ou, les armes à la main, profanait une église, en ces temps comme de nos jours, était frappé d’excommunication, c’est-à-dire de mort morale, et la sentence s’exécutait alors avec une sévérité inflexible jusque dans ses effets civils. Ce sont là des conditions de police nécessaires au maintien de l’ordre dans la république chrétienne ; non plus condamnables que les lois militaires, qui frappent, non d’excommunication, mais de mort réelle, le soldat assez oublieux de ses devoirs pour lever la main sur l’un de ses chefs. En menaçant de mort et en jetant dans les fers Jean Le Ferron, clerc du diocèse de Nantes ; en profanant l’église de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, située dans les limites de ce même diocèse, Gilles devenait justiciable de ces deux actes devant la justice de l’Église et devait en répondre à la barre de l’évêque de Nantes.

La nouvelle des sacrilèges de Saint-Étienne-de-Mer-Morte ne laissa donc pas l’évêque plus indifférent que la révolte de Gilles le duc de Bretagne. Depuis longtemps d’ailleurs, de toutes les parties de la ville de Nantes et des points les plus éloignés de son diocèse, du pays de Rais et de Clisson en particulier, des rumeurs étranges étaient montées jusqu’à lui : « C’était, dit d’Argentré, un diffame public et scandale dont Gilles fut chargé par le peuple. » Ces bruits venaient des petits et des grands ; les rapports des curés, des chapelains, des témoins synodaux, qui formaient dans les diocèses comme une police secrète pour le maintien des bonnes mœurs et de la foi, arrivaient à lui comme les échos de la grande voix populaire, sourde encore, mais inquiétante, sem-