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DOUBLE RÉVOLTE.

À cela le conviait l’assurance de sa grandeur pour impunité, selon d’Argentré. Telle était la terreur qu’il inspirait, dit Michelet, que depuis 14 ans[1] personne n’avait osé parler. Aussi, malgré les larmes du peuple, malgré les récits partout semés des crimes de Gilles, malgré l’enquête de l’évêque de Nantes, qui se fait dans l’ombre, malgré l’Inquisition, la justice eût été encore bien lente peut-être à venir, sans un événement fortuit. Un nouvel attentat, moins grave assurément que ses autres crimes, mais public et qui relevait à la fois de la justice ecclésiastique et de la justice civile, fournit heureusement, à l’évêque de Nantes, l’occasion de parler haut en faveur de l’innocence, de la vertu et de la faiblesse, et au duc de Bretagne le prétexte de rompre avec son lieutenant général et de garder dans ses mains les riches dépouilles de son nouveau frère d’armes. Gilles ne crut voir encore, dans cette circonstance, qu’un léger nuage dans le ciel : ce nuage portait la foudre.

Toujours à court d’argent, malgré ses revenus considérables encore et le produit de nouvelles terres vendues ; après avoir aliéné maintes rentes et nombre de seigneuries ; après avoir engagé jusqu’aux domaines de Champtocé et d’Ingrandes, le maréchal se retrouva un jour, comme tant de fois déjà, en présence de ses coffres vides et de ses appétits non satisfaits ; il fit sans hésiter ce qu’il avait déjà fait tant de fois : il jeta à l’hydre un nouveau lambeau de sa fortune. Il possédait sur les confins de la Bretagne, du côté du Poitou, la seigneurie et la forteresse de Saint-Étienne-de-Mer-Morte : il les engagea et les vendit même à un sujet du duc de Bretagne, Guillaume Le Ferron, dont le frère, Jean Le Ferron, en prit possession des mains de Gilles de Rais lui-même[2] : nous n’avons pu retrouver à quelle époque et pour quel prix. Que se passa-t-il entre le moment où Gilles livra ce beau domaine et les événements que nous allons raconter ?

  1. Ce chiffre est exagéré.
  2. Proc. ecclés.. Dépos. du marquis Lenano de Ceva, p. civ. — Proc. civ., fo 368, ro.