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FORTIS IN PUERI NECEM.

puisse même comprendre tout ce que j’ai fait dans ma vie ; il n’est personne qui en la planète puisse ainsi faire. » Le voilà donc enfin au point suprême où aspirait à monter son ambition : de là, il peut regarder avec mépris, de bien haut, le reste des hommes ! Cet excès d’orgueil confond ; mais l’on sait que les plus fanfarons des hommes ont été certains scélérats. Malgré tant de déceptions dans la théorie et tant de crimes dans la pratique, persuadé qu’il a du génie à force d’extraordinaire, Gilles a conçu de lui une idée orgueilleuse.

Et celui qui se souillait par de pareils crimes avait lui-même une enfant. C’est à croire qu’il n’avait jamais regardé dans son sourire, ni rafraîchi ses yeux dans ses regards limpides, ni senti la douceur de ses caresses et de ses baisers. Elle était absente : à défaut de l’histoire, les excès de son père le prouveraient suffisamment. Il n’est personne, en effet, de si criminel qui ose affronter le voisinage de son enfant. Il y a, dans l’haleine douce et suave de ces innocentes créatures, quelque chose qui est mortel aux mauvaises pensées ; et le regard et la prière d’un enfant sont le charme le plus puissant pour toucher le cœur et le fermer aux inspirations perverses qui montent de l’abîme. Il faut n’avoir plus au cœur un seul noble sentiment pour détourner la tête d’un enfant qui prie : plus dure et plus avilie encore mille fois l’âme de celui qui soutient en face, sans en être troublé — que dis-je ? — qui soutient par plaisir, par jeu, et avec un rire moqueur et féroce, ses regards effarés, sa pâleur, ses larmes et son désespoir. Il est raconté, que, vers ce temps-là, l’on jouait en France et en Angleterre une danse effrayante, la danse macabre, où la foule s’amusait de la mort. Les peintures qui nous en restent font peur à l’imagination ; on ne peut concevoir dans toute une génération d’hommes le goût de la mort qu’elles révèlent. Mais il n’y a rien pourtant, dans ces représentations, qui ressemble aux cruels amusements de Gilles et de ses complices autour de leurs victimes : eux aussi s’amusaient de la mort, mais d’une mort réelle, horrible ; eux aussi, les épouvantables monstres,