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LE NOMBRE DES VICTIMES.

tour de Champtocé plus de quarante enfants dont les restes y étaient enfouis[1] ; qu’on se souvienne qu’avant la prise de Machecoul par René de la Suze, Gilles de Sillé fut employé pendant trois semaines à sortir d’une tour les ossements de plus de quatre-vingts victimes mises à mort ; que l’on compte tous ceux dont les noms sont écrits dans les procédures ; qu’on songe enfin, que, sans fixer aucun nombre, Gilles et ses complices ont constamment désigné la Suze, et surtout Machecoul, Champtocé et Tiffauges, comme les lieux habituels où ces meurtres se commettaient souvent[2], et qu’il n’est pas d’endroit, pour ainsi dire, par où Gilles ait passé, qui n’ait été marqué par le deuil de quelque famille. Plusieurs ont porté jusqu’à sept et huit cents le nombre de ces victimes : chiffre énorme, qui est peut-être exagéré : et cependant l’on oserait dire qu’il n’a rien d’invraisemblable, si l’on fait attention aux aveux de Gilles et de ses complices. Toutefois, comme en dehors des nombres précis, qui sont contenus dans les pièces originales et authentiques, il ne saurait y avoir que des hypothèses plus ou moins hasardées et que le champ ouvert à l’imagination n’a vraiment pas de limites, il est du devoir de l’historien d’avertir que ces chiffres ne reposent sur aucune preuve réelle et manifeste. Hélas ! en s’en tenant seulement à ceux des Procès et de l’Enquête, n’est-ce pas assez, et trop encore, pour assurer à Gilles de Rais la triste immortalité, qui s’attache à son souvenir et lui mérite à jamais le surnom, que lui donne Michelet, de bête d’extermination ?

Le souvenir profond et durable, qu’il a laissé dans la mémoire des peuples de l’ouest, nous amène à parler d’une tradition populaire, qui n’a d’autre fondement que les créations capricieuses du conte et de la légende. Cette tradition, universellement répandue d’abord en Vendée, en Bretagne et en Anjou, et qui, avec le temps, s’est étendue même aux pro-

  1. Loc. citat.Proc. civ., fo 386, ro et vo.
  2. Proc. civ., p. 392, etc...