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GILLES DE RAIS.

verrous, des victimes, dont les cris pouvaient être entendus ou de la garnison ou des passants, et compromettre ainsi les bourreaux : ceux-ci pensaient justement que les morts seuls ne parlent pas.

Que de malheureux disparurent ainsi, pendant huit années d’impunité, dans les trois provinces de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne ! L’on a fait sur ce sujet bien des suppositions, et maints chiffres ont été mis en avant par les romanciers et les historiens. Mais personne ne saura jamais au juste le nombre des victimes. Aux jours du procès, les bourreaux eux-mêmes ne le savaient pas. Gilles de Sillé et Roger de Bricqueville s’étaient enfuis ; Henriet et Poitou, qui furent saisis avec leur maître, n’avaient pas assisté aux premiers crimes de Gilles, et, qui plus est, ne se rappelaient pas tous les enfants qu’ils avaient livrés au maréchal : à la fin de sa confession, Poitou ajouta ces mots : « et un grand nombre d’autres, dont je ne connaissais les pères et les mères[1]. » Quant à Gilles enfin, qui devait connaître ce nombre mieux que personne, il déclara, à plusieurs reprises, qu’il était grand, si grand même qu’il ne s’en souvenait plus[2]. L’acte d’accusation des Procédures civiles le porte à plus de deux cents : « Ce n’est pas seulement dix, vingt, mais trente, quarante, cinquante, cent, deux cents et plus, et tant que bonnement l’on ne pourrait certainement faire la déclaration du nombre[3]. » Nous possédons là évidemment l’opinion des juges : elle a donc un grand poids ; car elle est fondée, à la fois, sur les dénonciations des témoins, sur les aveux des coupables et sur les appréciations morales des complices. Si l’on compte d’ailleurs toutes les victimes qui sont nommées dans le cours des deux procès, et celles qui, sans y être désignées nommément, y sont collectivement comprises, on arrive facilement à dépasser ces chiffres. Qu’on se rappelle, en effet, qu’un soir, Gilles et ses complices retirèrent d’une

  1. Proc. civ., Conf. de Poitou, fo 392, ro.
  2. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, p. xlix, l.
  3. Acte d’accusation, art. xxvii, p. xxiv. — Proc. civ., fo 367, ro.