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ROGER DE BRICQUEVILLE.

épouvantables serments, veillent et donnent leurs soins. Ce sont eux qui pourvoient à ses appétits, à ses vices et à ses besoins : car, dans une telle existence, les jouissances sensuelles n’étaient point sacrifiées aux divertissements du théâtre ou des fêtes. Ces hommes lui sont nécessaires : il ne saurait leur rien refuser. Il leur confie tout, ses trésors, son honneur, ses biens, même sa famille, même ce qu’il doit avoir de plus cher[1] : triste exemple d’une décadence peu rare parmi les riches, qui, suivant l’expression populaire, mènent la vie à grandes guides. Nous n’avons rien de précis sur Gilles de Sillé, son cousin, sinon qu’il exerça sur lui la plus pernicieuse influence ; sur Henriet et Poitou, la suite de cette histoire contient des traits curieux que le lecteur remarquera de lui-même ; nous savons ce que fut Prélati : disons donc seulement quelques mots de Roger de Bricqueville et de la Meffraye : leur rôle dans l’œuvre maudite que nous racontons a été commun à tous leurs complices : on verra, par ceux-là, ce que furent les autres, leur perversité et leurs crimes.

Roger de Bricqueville, dont l’action sur Gilles de Rais fut si grande et si tyrannique, soit qu’on regarde sa ruine, soit qu’on songe à sa dépravation, était normand d’origine. Nous serions restés dans une ignorance presque complète sur ce personnage, si un document échappé à l’oubli, où se sont engloutis tant de titres de cette époque, n’était arrivé jusqu’à nous : ce sont les lettres de rémission que Charles VII accorda, le 24 du mois de mai 1446, au compagnon de son ancien maréchal et conseiller[2]. Ces lettres curieuses nous apprennent que Roger de Bricqueville était issu d’une noble maison de Normandie. Son père, Guillaume de Bricqueville, était possesseur du château de Launé, et jouissait d’une fortune considérable. S’il est permis de le juger d’après ses actes, c’était un preux chevalier, français de cœur, ayant dans

  1. Mémoire des Héritiers, fo 11, ro et vo.
  2. Lettres de grâce accordées par Charles VII à Roger de Bricqueville, le 24 mai 1446. Pièces justificatives, p. CXLV, CXLVI, CXLVII