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LES POURVOYEURS

Comparés aux Français de ce temps-là, ils étaient ce que furent les Grecs aux Romains, ce que furent les Romains aux Gaulois et les Gallo-Romains aux Francs victorieux. Ils portaient avec eux la culture et le goût des arts, qui caractérisent leur race ; les ducs d’Anjou, rois de Sicile et de Naples, les attiraient dans nos contrées. Certes, à une époque, où l’Italie était déjà florissante dans tous les arts, les habitants de la Lombardie et de la Toscane, les savants de Milan et de Florence avaient un autre air que les descendants des Théfaliens et des Bretons. La culture de leur esprit, la connaissance des langues, des arts et des lettres, le goût de l’intrigue inné chez les peuples du Midi, le plaisir de duper à son profit, le sentiment de leur supériorité intellectuelle, un raffinement singulier dans la corruption et la science de tous les plaisirs comme des secrets de la nature, développaient encore la distinction naturelle de leur type. Aussi, Gilles de Rais, qui était si facile à se laisser prendre à tous ces dehors brillants, avoue à ses juges qu’il était fasciné par leur génie séduisant ; que leur seule conversation et leur beau parler latin le charmaient à tel point et le jetaient dans une telle admiration, qu’il en était arrivé à ne plus pouvoir se passer ni de leur commerce ni de leur vue. Toutefois, ce n’était pas seulement de l’Italie que les flatteurs étaient accourus ; de toutes les parties de la France, de l’Angleterre et même de l’Allemagne, s’était abattue sur la demeure de Gilles de Rais une bande d’escrocs et d’ambitieux, comme un essaim de frelons sur le tronc vermoulu d’un arbre[1].

C’est donc à de telles mains que Gilles de Rais s’était livré, lui, son or et ses biens, par faiblesse et par calcul. Il vivait avec eux dans la plus grande familiarité. Rebut de la cour, il trouvait en eux des amis, des intendants dignes de lui, des collaborateurs de ses travaux, des pourvoyeurs de ses plaisirs, des compagnons d’orgies, de voluptés et de

  1. Proc. ecclés. et civ., Mémoire des Héritiers, etc… passim.