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CAUSES DE SA DÉPRAVATION.

mais la plupart de ceux qui ont été saisis, ne le fréquentaient que depuis sept ou huit ans, et de ce passé ne racontèrent que ce qu’ils en avaient ouï dire ; les complices plus anciens s’étaient enfuis à l’approche de l’orage. Voilà pourquoi, d’après nous, il convient de s’en rapporter aux aveux de Gilles de Rais lui-même : ils furent trop spontanés pour n’avoir pas été sincères. Or, tout en avouant plusieurs fois qu’il s’adonna dès sa jeunesse à toutes sortes de désordres et de plaisirs défendus, il met pourtant une grande différence entre les plaisirs coupables de son premier âge et de sa jeunesse et les excès monstrueux de l’âge mûr, qui marqua le terme de sa vie. On devine qu’il est arrivé à ces folies cruelles peu à peu, à la suite sans doute d’une vie déréglée, mais commune à plus d’un autre homme : seulement il a poussé dans des excès qui ont fait reculer les autres d’horreur. En réalité, il confesse que les crimes, dont nous venons de faire le sombre tableau, datent à peu près de la mort de Jean de Craon, son aïeul maternel : or, celui-ci mourut à Champtocé, en l’année 1432, huit ans environ avant le procès de son petit-fils. Mais, si la date de ces grands crimes n’est pas absolument certaine, on ne peut du moins douter un seul instant des causes de cette étrange dépravation morale.

L’ambition, le dérèglement de l’imagination, la curiosité naturelle, dont nous avons trouvé les traces partout dans le cours de sa vie, firent éclore en lui des idées monstrueuses : c’est lui-même qui nous l’apprend par ses aveux. Nous avons vu quelque part, que, durant les débats de son procès, on découvrit au château de Champtocé un exemplaire de Suétone, qui lui avait appartenu. Malgré nos recherches sur un fait si curieux, nous n’avons pu l’établir sur aucun texte contemporain. Toutefois, le fait paraît vraisemblable, si l’on examine, d’un côté, le goût de Gilles pour les livres et les nombreuses preuves que nous avons de son éducation soignée et brillante ; et, de l’autre, l’analogie frappante qui existe, à certains égards, entre les orgies du maréchal et celles de Tibère et de Néron. Mais que les récits de Suétone