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GILLES DE RAIS.

poursuivent. Pendant qu’il dort, ses complices étanchent le sang qui souille le sol de sa chambre ; ils le lavent à grande eau. Dans la vaste cheminée, ils placent sur deux landiers des bûches longues et grosses et deux ou trois fagots de bois[1] ; par dessus ils mettent enfin les membres mutilés de la victime, qu’ils recouvrent encore de paille et de feuilles sèches ; puis ils allument le feu. Tout disparaît enfin dans les flammes, et la victime, et jusqu’à ses robes et à sa chemise, que l’on fait brûler peu à peu, afin qu’on ne sente pas l’odeur de la fumée[2]. L’adresse des serviteurs est telle, que les cendres mêmes du foyer éteint ne trahiront pas le terrible secret ; car ils les recueillent avec soin et vont les jeter dans les lieux les plus secrets du château et dans les douves qui baignent les murs, ou les sèment, du haut des tours, aux vents qui les dispersent[3]. Ces précautions prises, Gilles se croit à l’abri des poursuites des hommes, sinon de celles de Dieu : il ne sait pas que « le sang versé, comme s’exprime le promoteur du procès dans l’acte d’accusation, crie vengeance au ciel, jusqu’à ce que Dieu, auteur de tout amour et vengeur de toute vertu, se réveille et que le châtiment atteigne le coupable. »

Mais, hélas ! que la justice fut lente à venir ! que de fois le drame terrible se renouvela dans les appartements de Gilles pendant la dernière période de sa vie. L’acte d’accusation, qui fut dressé contre lui par Jean de Malestroit, évêque de Nantes, et par le vice-inquisiteur de la foi, le dominicain Jean Blouyn, recule, sans toutefois l’affirmer d’une façon bien certaine, jusqu’à l’année 1426, le commencement de cette tragédie, toujours la même et toujours reprise avec une nouvelle fureur[4]. Quelques-uns des complices du maréchal[5] la fixent également vers la même époque :

  1. Proc, civ., Conf. de Henriet, fo 377, ro.
  2. Proc, civ., Conf. de Henriet, fo 378, ro.
  3. Proc, ecclés., Conf. de Poitou, p. lxxxv, etc. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 377, ro.
  4. Proc, ecclés., Acte d’accusation, art. xv ; p. xx.
  5. Proc. civ., Conf. de Poitou, fo 387, ro.