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LE MEURTRE DES ENFANTS.

c’est la mort en effet. Mais voici que soudain le visage des bourreaux se transfigure ; de terribles et de menaçants qu’ils étaient, leurs regards se font doux et bienveillants ; leurs lèvres, qui disaient des paroles terribles, laissent tomber maintenant des paroles tendres : la corde fatale est dénouée. La pitié a pénétré dans ces âmes cruelles ; le baron, si terrible tout à l’heure, prend l’enfant sur ses genoux ; il l’embrasse, il le console, il lui dit de ne plus crier ; qu’on a seulement voulu lui faire peur ; mais qu’on lui veut du bien, qu’il veut s’amuser avec lui, et mille autres choses aimables encore pour le rassurer et obtenir de lui le silence[1]. Avec la vie, ces paroles et ces caresses font renaître l’espoir dans le cœur et sur le visage du pauvre petit ; il essaie de sourire à ses bourreaux : jeux terribles, vrais jeux du tigre qui s’amuse de sa proie avant de la déchirer. À peine le baron a-t-il mis au profit du plaisir la bonne foi de l’enfant, que la victime est de nouveau baillonnée. Elle est jetée violemment par terre ; sur l’ordre de Gilles, ou même souvent de sa propre main[2], d’un coup de poignard la gorge est coupée ; le sang coule à flots ; le sol et les bourreaux en sont inondés ; et cependant Gilles ne s’arrête pas. Armé d’une dague, d’un poignard, ou d’un « long bracquemart[3] », il se joue de sa victime au gré de son imagination ; toute cruauté qui lui passe par la tête, toute monstruosité qui est née de ses rêves, il l’exécute avec l’attention savante d’un artiste. Aux caprices mouvants de sa passion, il coupe les membres ; il ouvre l’une après l’autre les sources de la vie, qui s’échappe à flots ; il déchire le sein et met à nu

  1. Sibique blandiendo seu blandire fingendo et simulando, asserebat quod nolebat ipsos ledere, seu sibi malum aut lesionem inferre, ymo tantum se spaciare cum ipsis, ac taliter impediebat ne clamarent. — Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. LXxxiv.
  2. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, p. XLix ; de Poitou, p. LXxxv ; de Henriet, p. cxiv. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 374, vo ; de Poitou, 384, vo ; de Gilles, 383, vo.
  3. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, p. xlix ; de Poitou, p. xlix ; de Henriet, p. cxiv, cxviii. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fos 379, 380, vo et ro ; de Poitou, fo 385 ; de Gilles, fo 393.