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LES COUPABLES.

les familles de Nantes le malheur s’abat tout à coup ; il vient à Tiffauges, et c’est sur les toits d’alentour ; il séjourne à Champtocé, et c’est dans la vallée de la Loire qu’il lève son cruel tribut ; il passe et repasse à Machecoul, et à chaque fois c’est un nouveau deuil, ce sont de nouvelles larmes ; s’il demeure un seul jour dans un village, le lendemain une famille alarmée jette sa douleur à tous les échos et sème ses inquiétudes sur tous les chemins de la contrée ; il passe une seule nuit à Bourgneuf-en-Rais ; le lendemain un jeune homme de dix-huit ans a disparu[1] ; au mois de juillet 1440, Vannes le voit à la cour de Bretagne[2] : il n’est pas sorti de la ville, que l’émoi s’est répandu parmi tout le peuple ; il arrive à Josselin, presqu’aux portes de Rennes, et toute la ville est plongée dans la consternation. De toutes parts, en un mot, on dit et l’on répète que le maréchal de Rais est le vrai coupable[3] ; les populations impatientes, confiantes cependant dans le secours du ciel, lèvent les yeux vers les hauteurs, pour voir s’il ne leur viendra pas enfin du secours. Mais elles l’attendront longtemps ; il paraîtra toutefois. Déjà, dans le secret, la justice s’avance : elle reçoit les soupirs, elle écoute les plaintes, elle sent sous sa main le soulèvement des poitrines oppressées ; son oreille et son cœur sont ouverts à la compassion ; elle viendra, émue « par la complainte lamenteuse[4] » des familles ; elle viendra, renversant tous les obstacles de la fortune et de la politique. Mais avant de raconter les derniers excès et l’arrestation de Gilles de Rais ; avant d’entrer dans le récit de son procès et de sa mort, puisque nous connaissons les ravisseurs, il convient de dire ce que devenaient les victimes et quel était l’œuvre des bourreaux.

Ce qui suit est de nature à froisser la délicatesse de certains lecteurs : quelle que soit cependant la crudité des

  1. Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. Lxxxvi ; Conf. de Henriet, p. xcvii.
  2. Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. xci, xcii.
  3. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, p. CXXIV.
  4. Proc. civ., fo 365.