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GILLES DE RAIS.

l’origine, sous la forme que lui donne l’imagination populaire, surexcitée par la peur. Sans concorder pourtant avec les bruits de la foule, les récits du voyageur breton furent de ceux qui ne pouvaient apaiser une telle épouvante[1]. Enfin, aux portes mêmes de la ville de Rennes, à l’autre extrémité de la contrée, des marchands forains avaient répété partout, dans leurs courses journalières, que deux de leurs compagnons avaient disparu subitement au pays maudit de Rais[2]. Ainsi, de Saint-Jean d’Angély à Rennes, et de Vannes à Angers, il n’était question que de Champtocé, de Tiffauges, de Machecoul et de l’hôtel de la Suze, aux environs desquels il se passait de si étranges choses : par la frayeur que ces seuls noms excitaient au loin, on peut juger maintenant de l’épouvante que jetaient dans tout le pays le voisinage et l’aspect de ces terribles donjons.

Peu à peu, la méfiance publique, chaque jour précisant davantage ses soupçons, alla plus loin ; elle osa pénétrer jusque dans ces châteaux forts ; elle désigna les coupables eux-mêmes avec la certitude de ne pas se tromper. Aux yeux du peuple, ceux qu’une relation constante liait à toutes ses infortunes, ne pouvaient pas ne pas être les auteurs de ses misères. Or, là où disparaît quelque enfant, il est rare qu’on ne signale pas quelqu’un des familiers de Gilles de Rais, ou Bricqueville, ou Princzai, ou Poitou, ou Henriet, ou Eonnet de Villeblanche, ou Romulart, ou Prélati lui-même. Ce sont eux qui demandent les enfants aux familles, souvent avec une insistance qui n’est pas sans imprudence, toujours avec de magnifiques promesses. En traversant la Roche-Bernard, en septembre 1438, Poitou, à force de prières, de promesses et d’argent[3], décide une femme pauvre, Perrine Loessart, à lui confier son fils Colin, âgé de dix ans, « l’un des plus beaux enffans du pais, qui apprenait moult bien[4] » et que Gilles

  1. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440 ; p. cxxi, cxxii.
  2. Enq. civ. du 8 oct. 1440 ; p. cxxxvii, cxxxviii.
  3. Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. cxxxvi.
  4. Il n’est pas inutile de remarquer qu’au xve siècle la Bretagne avait déjà