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GILLES DE RAIS.

villes, où, près de leurs foyers déserts, tant de pères et de mères pleuraient leurs enfants disparus. Arrivés près de la ville de Nantes, les trois coffres furent descendus du bateau sur la rive, chargés sur une charrette et dirigés vers Machecoul. Aussitôt qu’on y fut parvenu, le baron fit transporter ces coffres dans sa chambre à coucher. Là, dans la haute cheminée, un grand feu fut allumé ; peu à peu, avec précaution, tous les ossements furent brûlés en présence de Gilles, de Henriet, de Poitou, de Gilles de Sillé et de Buschet ; puis la cendre fut recueillie avec soin et jetée dans les douves du château, où elle disparut sous la vague et la brise[1].

Déjà, quelques semaines avant que René de la Suze et André de Lohéac se fussent emparés de la ville et du château de Machecoul, cette place avait été témoin d’une scène semblable à celle que nous venons de décrire[2]. Le maréchal de Rais, à la première nouvelle des intentions hostiles de son cousin et de son frère, avait pris en toute hâte de graves mesures en prévision de l’avenir. Sur son ordre, Gilles de Sillé, son digne complice, et Robin Romulart, l’un des serviteurs sur lesquels il pouvait le plus sûrement compter, avaient, pendant quinze jours ou trois semaines, extrait du

  1. On trouva, dans la tour de Chantocé, dit Michelet, une pleine tonne d’ossements calcinés, des os d’enfants en tel nombre, qu’il pouvait y en avoir une quarantaine. » (Michelet, t. V, p. 211.) L’historien parle ici des fouilles que, d’après lui, la justice fit exécuter à Champtocé : on voit qu’il a été induit en erreur, ou par une lecture trop rapide du manuscrit, ou, ce qui est plus probable, par le récit d’un historien mal informé.

    On lit, dans un ouvrage qui jouit justement d’une grande valeur scientifique, les lignes suivantes : « C’est une pure fantaisie des faiseurs d’historiettes que de placer à Chantocé la scène de ses exploits sinistres. Gilles de Retz, qui n’y fit jamais résidence, avait vendu la terre en 1437 au duc Jean V de Bretagne. — Le conseil du roi interdit en vain le maréchal. Le roi lui-même l’assigna en domaine à sa femme Isabelle (1er nov. 1442). Mais le duc, qui avait pris possession, s’y maintenait contre toute menace des officiers royaux et la garda dans sa maison. (Célestin Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire, Angers, 1874. art. Chantocé.)

    On ne saurait faire, j’imagine, aux documents le reproche que M. Célestin Port adresse à la fantaisie des romanciers et aux faiseurs d’historiettes.

  2. Proc. ecclés., p. LXXXVIII. Conf. de Poitou ; Conf. de Henriet, p. XCIX. — Proc. civ., fo 372, Conf. de Henriet ; Conf. de Poitou, fo 387.