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CHAMPTOCE.

la lumière blafarde qui tombe sur les murs et le sol de ce réduit, ils aperçoivent un monceau de membres humains, gisants çà et là, des têtes séparées de leurs troncs, des ossements desséchés ou moisis par l’humidité de ce lieu. Trois mois au moins, en effet, s’étaient écoulés depuis que René de la Suze s’était emparé du château ; et les enfants, dont les restes étaient ensevelis dans cette tour, étaient morts longtemps auparavant[1]. Les deux serviteurs, malgré leur effroi, se mettent à l’œuvre : ils entassent pêle-mêle tous ces ossements dans un sac. Quand il est rempli, Hicquet et Henriet Griart le retirent à l’aide de la corde qui a servi à descendre leurs deux complices ; ils amoncellent les restes mutilés sur le pavé de la chambre, tandis que d’un œil impassible Gilles de Rais surveille leur travail et qu’au dehors Gilles de Sillé fait le guet, pour donner l’alarme au moindre bruit. Car la peur d’être surpris les fait frémir d’épouvante : Henri Griart avoua plus tard à ses juges, que, lorsqu’il fut arrêté et conduit à Nantes, pour n’avoir pas à dévoiler de pareils secrets, il songea, sur la route, « par tentation diabolique », à se couper la gorge avec un couteau. Enfin l’œuvre est achevée, et, à la suite de ces restes funèbres, Poitou et Robin sont remontés vers leurs complices. Le baron de Rais leur commande de mettre tous ces ossements, témoins de ses monstrueuses cruautés, dans trois grands coffres[2] ; solidement il les fait entourer de fortes cordes, et porter, toujours pendant la nuit, vers un bateau qui attend, tout prêt à partir, caché parmi les saules de la Loire. Le maréchal ne demeura dans Champtocé que le temps nécessaire pour remettre la place aux gens du duc de Bretagne : dès le lendemain ou le surlendemain de son entrée dans le château, il monta sur la barque avec tous ses serviteurs, et le convoi, porté par la rame et le courant, descendit le cours du fleuve, traversant les bourgs et les

  1. Proc. civ., fo 313.
  2. Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 373, ro.