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GILLES DE RAIS.

outre la perversité des désirs qu’elles dénotent dans cet homme, elles ont servi à des violences et à des meurtres aussi horribles qu’incontestables.

Un jour que Henriet et Poitou étaient entrés dans la chambre de leur maître, ils aperçurent, à leur grande surprise, Gilles tenant « la main, le cœur, les yeux et du sang » d’un petit enfant, qu’il venait de faire mourir sous leurs yeux ; il enveloppa ces parties sanglantes dans un linge blanc, les mit dans un verre, et les déposa sur la « symaise » de la cheminée[1] ; puis il leur ordonna de fermer sa chambre à clef et de n’y laisser pénétrer personne. Le soir, Gilles prit les parties sanglantes de l’enfant, les cacha dans sa manche[2] (en ce temps-là, les grands seigneurs au repos portaient d’amples vêtements), et les apporta, comme une offrande digne de plaire au démon, dans l’appartement de Prélati. Ce fut là tout ce que purent savoir Henriet et Poitou ; mais les récits de Gilles et de Prélati nous permettent de compléter ce drame dont les deux serviteurs n’avaient vu que le prélude : la fin n’en fut dévoilée qu’au jour des débats judiciaires. Les deux complices, en effet, se rendirent à la chambre où ils avaient déjà fait une première évocation, et ils recommencèrent les mêmes cérémonies dans le dessein d’offrir au démon le sang, la main, les yeux et le cœur de la victime ; mais le démon ne se montra pas. Lorsque le baron, furieux de ce nouvel échec, le cœur plus lourd par le poids d’un nouveau crime, se fut retiré, Prélati prit les parties offertes en sacrifice, les roula dans un linge de lin, et quitta discrètement le lieu de l’évocation. Il traversa la partie du château qui est comprise entre le côté qui regarde la Crûme et celui que baigne la Sèvre, et vint, d’un pas furtif, tremblant d’être surpris, inhumer ces restes en terre sainte, au pied des murs de la chapelle dédiée à saint Vincent ; puis il se

  1. Proc. ecclés., Conf. de Prélati, p. LXVIII ; Conf. de Poitou, p. LXXXVIII ; Conf. d’Henriet, p. CI ; — Proc. civ., Conf. de Poitou, fo 388, ro.
  2. Proc, civ., fo 288, ro. Conf. de Poitou.