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FRANÇOIS PRÉLATI.

mot de Salluste, parlant de Catilina : « Vastus animus, immoderata, incredibilia, nimis alta semper cupiebat ». L’empire du monde, les royaumes de la terre, les villes, les campagnes immenses, voilà ce qu’il aperçut un jour des sommets où l’ambition avait porté ses désirs ; et pour posséder toutes ces richesses, il n’hésita pas un seul instant à se courber devant le maître : il se jeta aux pieds du Tentateur, et il l’adora.

Mais en même temps, cet esprit trop vaste dans ses pensées est soumis à tous les changements capricieux de la passion, qui toujours est mobile dans les esprits faibles. Non seulement il change continuellement de moyens pour arriver au but constant de ses désirs ; mais il connaît encore toutes les alternatives du désespoir et de l’espérance. Cette agitation perpétuelle de son esprit et de son cœur est l’un des traits les plus visibles de son caractère. Or, on peut juger, par la grandeur de cette ambition, quelles amertumes et quelles colères suivaient l’insuccès de toutes ses entreprises : multum displicens et iratus erat, dit le procès[1]. C’était vainement qu’il avait fait fouiller les pays les plus lointains pour y découvrir les premiers maîtres du monde dans les sciences occultes ; vainement qu’il avait versé l’or à flots ; vainement qu’il avait fait couler son sang. La passion, si grande qu’on la suppose, ne l’empêchait pas de voir que ses ressources s’épuisaient, que ses plus belles terres étaient vendues, que les créanciers se faisaient plus rares, plus exigeants, et que, pour peu que cet état de choses continuât, c’était la ruine, et une ruine pleine de hontes. Devant un avenir si sombre, à bout d’expédients aussi bien que de patience et d’or, Gilles maudissait sa destinée ; de nouveau il doutait ouvertement de la magie et des magiciens, quand, un soir, un dernier évocateur, qui devait donner une nouvelle impulsion à son activité en réveillant ses espérances et en faisant éclore en lui comme une nouvelle florai-

  1. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, p. LI.