Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
GILLES DE RAIS.

saurait plus résister et « que tout ce que le dauphin et la Pucelle entreprenaient leur réussissait en tout sans aucune résistance ». Ni Gilles de Rais ni ses contemporains ne s’y trompaient, surtout, lorsque après la mort de Jeanne, le roi eut repris le cours de ses succès ; évidemment une force supérieure menait les forces humaines. Le maréchal de Rais avait été témoin de cet enthousiasme ; lui-même avait subi l’attrait de ce merveilleux ; il avait ouï raconter tous les prodiges dont l’imagination du peuple entourait la naissance, la jeunesse et la personne de l’héroïne : son ambition osa se promettre, l’insensé ! de renouveler à son profit les choses étonnantes qu’il avait vues. C’est sans doute dans ce dessein qu’il prêta son concours à la fausse Pucelle : pourquoi cette femme, qu’on disait, qu’il crut peut-être un moment être la même que la Pucelle d’Orléans, ne ferait-elle pas pour lui ce qu’elle avait accompli pour Charles VII ? N’y avait-il pas quelque analogie entre la détresse présente du maréchal et la détresse passée du dauphin ? Mais, comme tant d’autres, cette illusion fut de courte durée. Alors, par honte, — ou par un reste de pudeur qui ne permet pas au crime de compter sur l’appui du ciel, il rechercha la protection de l’enfer. Ainsi que Dieu, le démon a sa puissance ; il peut donner à ceux qui le servent un pouvoir limité sans doute, mais enchanté cependant : c’est donc à lui que Gilles demande, science, or et puissance, et ce pouvoir merveilleux de faire tomber devant lui, au gré de ses caprices, les forteresses et les villes les mieux défendues par l’art et par la nature, sans que personne puisse jamais prévaloir contre lui[1]. Voilà bien, si je ne me trompe, le rêve d’une puissance semblable à celle qu’exerça la Pucelle d’Orléans et qui servit si heureusement les intérêts de la patrie. Par les esprits trop vastes, tout est conçu hors des limites naturelles : il n’y a pas d’hommes, auquel on puisse plus justement appliquer le

  1. Proc. ecclés., Acte d’accusation. art. XXIV, p. XXIII. Conf. de Blanchet, p. LXXVI.