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XIV
INTRODUCTION

généreux jusqu’à la prodigalité ; magnifique dans ses goûts jusqu’à la folie ; épris de la science et de la gloire, plus épris encore peut-être des lettres et des arts, les vingt-cinq premières années de sa vie furent presque celles d’un héros ; puis tout à coup, dans les dix années qui suivirent de si heureux débuts, il devint avide d’or, cruel, débauché, impie, et le monstre inhumain apparut dans l’artiste et le chevalier. En cette âme on dirait que vices et vertus tour à tour ont pris rendez-vous ; car il ne s’y est point trouvé, ce semble, de vertu que n’ait étouffé le vice contraire.

Comment se fit cette transformation ? C’est en indiquant les causes de tels changements que l’histoire donne ses plus sévères leçons. L’examen attentif de la vie de Gilles de Rais démontrera au lecteur qu’il a suffi d’un seul vice pour corrompre cette âme tout entière. Les anciens étaient d’accord avec l’Évangile quand ils croyaient qu’il suffit d’une seule passion pour faire germer dans le cœur tous les vices et y engendrer toutes les corruptions. Ce livre est une preuve de plus apportée à la croyance de l’antiquité et à l’autorité de l’Évangile : « Il suffit d’un peu de levain pour corrompre toute la masse. » Une seule passion, indomptable et jamais rassasiée, la soif de la puissance et des honneurs, l’ambition, en un mot, en allumant dans les veines de Gilles la fièvre de l’or, « Auri malesuada fames, » comme disait, en corrigeant le mot de Virgile, un éminent critique, a poussé le malheureux de vice en vice, de crime en crime, jusqu’à cet abîme de luxure cruelle, qu’il est défendu même de sonder et où tout s’est englouti, fortune, honneur et vie même. Dans cette âme, l’ambition désordonnée amenait à elle toutes les autres forces de la nature corrompue, comme les humeurs du corps sont attirées autour d’un ulcère qui le dévore. On peut dire des vices ce que Cicéron a si bien dit des arts : « Habent