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GILLES DE RAIS.

ce moment, ce ne fut pas sans doute avec cette passion que l’on remarque vers la fin de sa courte carrière, et qui fut toujours plus impérieuse à mesure qu’il s’enfonçait dans la ruine et le crime. En ce temps-là, en effet, sa fortune était encore intacte : le besoin de l’or ne se faisait donc pas sentir aussi vivement que plus tard, lorsqu’il commença à dissiper ses ressources. Quant à la puissance et aux honneurs, il n’y avait pas lieu de les demander au démon, puisque la guerre et la faveur l’y menaient plus directement qu’aucun autre chemin. Il convient donc d’attribuer ces premiers essais plus à la curiosité naturelle de son esprit, qu’au désir de combler les vides faits à ses trésors et à l’ambition des honneurs et de la puissance. Aussi bien, à cette époque, des soins plus nobles et plus dignes de sa jeunesse et de son nom occupaient heureusement sa vie : car l’ambition, depuis l’enfance grandissant dans son âme, n’aspirait encore à marcher à la réalisation de ses rêves que par les chemins de la gloire ; or la gloire se moissonnait à gerbes pressées dans les plaines de la France, converties depuis près de cent ans en vaste champ-clos, dont deux partis ennemis se disputaient la possession. On se rappelle le rôle important que Gilles de Rais joua dans ce suprême effort, où la patrie, reprenant vie à la voix résurrectrice d’une jeune fille, brisa les liens de mort dont l’anglais resserrait chaque jour sa captivité. Les soins de la guerre, l’importance de son grade dans l’armée, l’amour des armes l’occupaient trop pour lui laisser des loisirs, avant l’heure où la France, ayant rompu ses liens, sembla respirer et se reposa un instant avant de rejeter ses ennemis tout à fait au loin.

Ainsi donc, Gilles ne s’adonna à l’étude soutenue de la magie qu’après la mort de Jeanne d’Arc, peut-être même seulement en 1432, après la mort de Jean de Craon, son aïeul maternel. C’est à cette époque, en effet, qu’il reporte de bien plus grands crimes encore, mais qui sont, comme nous le verrons bientôt, intimement liés à ses opérations magiques.