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GILLES DE RAIS.

prudemment s’il savait également l’art plus sublime encore d’évoquer les démons : preuves manifestes qu’à cette époque, au moins, la plupart des alchimistes étaient magiciens, et que la croyance publique unissait étroitement, non sans raison, ces deux sciences secrètes. La scène enfin que nous avons décrite plus haut et dont Blanchet avait entrevu quelques détails, ne laisse aucun doute sur ce sujet. Ainsi, le personnage de Faust, si vigoureusement dessiné par le génie de Goethe, n’est pas une fiction dans l’histoire : or, c’est ce personnage seulement que poursuivirent l’Église et l’État ; contre lui, l’Église eut des foudres, et l’État des bûchers.

Car, à part une bulle de Jean XXII, en 1317, un édit royal de Charles V et plusieurs autres moins connus, qui bientôt tombèrent tous sans nul effet, aucune peine ne fut édictée contre les adeptes de l’alchimie[1]. Loin de proscrire cette science, au contraire, plusieurs papes et princes l’ont cultivée et se sont entourés des maîtres dans cet art ; bien plus, des saints l’ont pratiquée sans scrupules ; il est à remarquer enfin que, dans les deux procès de Gilles, on ne lui fait jamais un crime d’avoir cherché la pierre philosophale et la panacée universelle. On le verra devant ses juges : après les insultes hautaines du grand seigneur, viendront les ruses calculées du légiste. Ses crimes seront publics, dévoilés, convaincants ; alors l’accusé, pour couvrir par une apparence de sincérité ce qu’il a de mauvais dans sa vie et donner une explication à ce qu’elle renferme de mystérieux, avouera, sans peur comme sans contrainte, ses chimériques et infructueuses tentatives de faire de l’or. Au moment même où il niera les crimes qui le feront condamner à mort, il confessera volontiers les espérances qu’il avait mises dans un art dont les prétentions choquent peut-être le bon sens, mais contre lequel la justice n’a point de rigueurs ; il entrera même dans des détails précis, croyant que la curiosité de ses juges et du public en sera satisfaite. « Il a cru, dira-t-il, et il croit encore que cet

  1. V. Oct. Louis Figuier, L’Alchimie et les Alchimistes.