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GILLES DE RAIS.

fut en lui le moteur de toutes les autres. Après avoir demandé à la valeur des armes les honneurs qui suivent la puissance, il les avait demandés à la science, et la science elle-même, au seul art naturel qui la promettait à cette époque, à l’alchimie. Il est vrai que cet art caché, mystérieux, étant le seul qui offrît de la donner, la lui avait promise dans sa plénitude. À entendre les alchimistes, rien de ce qui peut tenter la curiosité humaine ne leur était inconnu, au moins dans leurs espérances, ni les secrets de la nature, ni l’or, qui fait l’éclat de la vie, ni la panacée universelle, qui la prolonge, si même elle ne donne l’immortalité. Cette science lui avait offert, en un mot, comme le tentateur de la Bible, le moyen de monter vers la puissance et de devenir un dieu : aussi rien n’avait fasciné plus puissamment les yeux de Gilles que le pouvoir divin de faire de l’or, qui, dans sa pensée, le devait élever au rang des rois. Il avait donc appelé à lui les prêtres de cette science sublime ; il en avait parcouru avec avidité tous les livres ; il en avait étudié tous les secrets ; leurs fourneaux, il les avait construits à grands frais ; leurs instruments, il les avait achetés à grand prix ; dans leurs creusets, il avait mis son or et le sang de son âme, ses désirs et ses espérances ; il avait suivi patiemment leurs élaborations : mais il n’avait jamais trouvé au fond du creuset que poussière, déception, ruine. Sur l’arbre de la science, sa main trompée n’avait cueilli qu’un fruit de mort, âcre et aride ; acre comme le désespoir, aride comme ces fruits qu’on nous dit mûrir aux rivages de la Mer-Morte, beaux d’apparence et désirables à la vue comme celui de l’Éden, mais cachant, sous leur peau veloutée et vermeille, une cendre amère et mortelle. C’est que Gilles n’avait pas été et ne pouvait pas être de ces savants modestes, dont le progrès est l’unique fin, et l’unique joie le savoir. Il avait compté sur autre chose que sur des découvertes chimiques, en apparence stériles, mais fécondes en réalité ; l’or seul avait été l’objet de ses désirs ; et il n’avait trouvé que la triste réalité de la ruine. Alors d’amers reproches s’échappèrent de ses lèvres ; il eut