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TENTATIVES INFRUCTUEUSES.

L’orfèvre, revenu de sa surprise, tira rapidement ses grègues et s’enfuit, assez content, sans doute, d’en être quitte à si peu de frais, et satisfait de n’avoir pas été obligé à rendre le marc d’argent qu’il avait dépensé[1].

Cette mésaventure ne pouvait guérir Gilles de Rais de sa funeste passion. Il avait eu affaire à un escroc ou à un ivrogne ; raisonnablement, il ne pouvait en conclure que tous les alchimistes étaient ou des ivrognes ou des fripons. Par raison, non moins que par amour de l’or, Gilles sut donc se mettre en garde contre toute exagération. Bien loin de s’éteindre, le feu qui le brûlait prenait chaque jour une nouvelle ardeur. Au grand désespoir de sa famille et de ses vrais amis, il se lança à corps perdu dans des dépenses ruineuses[2]. La renommée, souvent menteuse, lui apporte que les pays lointains, l’Allemagne et l’Italie surtout, sont des terres privilégiées, où fleurit par excellence le grand art de l’alchimie[3]. Tout aussitôt ses désirs s’enflamment ; il envoie ses familiers les plus intimes parcourir ces contrées, les mains pleines d’or et de promesses, non moins pour éblouir les yeux des savants des bords du Rhin et du Pô, que pour suffire aux dépenses du voyage[4]. Aussi, comme des chiens avides de curée, les initiés accourent de toutes parts, et ce n’est pas sans orgueil que Gilles voit arriver devers lui ce que l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie ont produit de plus grand et de plus célèbre. Les Italiens, race intelligente et rouée en l’art de plaire, se distinguent parmi tous les autres par leur esprit, leurs belles manières, leurs mœurs polies[5].

  1. Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, p. LXXX, LXXXI.
  2. Mémoire des Héritiers, fos 11 et 16, ro et vo.
  3. Les écoles d’Italie étalent déjà des sources fécondes d’instruction, où les lettres et les sciences, sortant de leur longue torpeur, attiraient les esprits curieux de toutes les parties de l’Europe. C’était surtout une belle époque pour les sciences d’observation et en particulier pour les sciences naturelles.
  4. Lettres patentes de Charles VII, — Mémoire des hèritiers, fo 11, vo, et fo 16, ro et vo.
  5. Ibidem.