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MYSTÈRE DU SIÈGE D’ORLÉANS.

athénien aux Perses d’Eschyle, n’a été plus intimement mêlée à l’action que le peuple Orléanais dans le Mystère du Siège d’Orléans. Ce n’est plus ici un peuple mort, qui revit un instant dans le chœur devant les yeux du spectateur ; c’est le peuple vivant d’Orléans et d’Athènes, se ranimant par une nouvelle vie au réveil des sentiments de crainte ou d’espérance, de tristesse ou de joie, qui l’ont naguère agité devant la mer de Salamine couverte de vaisseaux ennemis et devant les débris fumants d’Athènes, ou en face de la plaine de la Beauce couverte de retranchements anglais et en présence des murs d’Orléans menacés de toutes parts ; ce sont toutes les émotions, ou si terribles, ou si douces, que firent naître les alternatives de la défaite ou de la victoire. Par ce côté donc, ce poème, si imparfait par tant d’endroits, a la beauté de l’un des chefs-d’œuvre des temps antiques, un attrait que ne possède aucune tragédie des temps modernes[1].

Lorsqu’on tient compte de la passion du peuple, au XVe siècle, pour les représentations du théâtre ; lorsqu’on sait que le théâtre, dans ces temps-là, était comme un centre et un foyer de vie publique ; que la scène n’était pas, comme de nos jours, renfermée dans un édifice particulier, dressée pour une classe d’hommes à part, mais qu’elle était élevée au grand jour et pour tout le peuple ; quand on songe que dans la série monotone et décolorée des joies annuelles, les grandes représentations de Noël, de Pâques et de l’Ascension, étaient les seules jouissances un peu vives et variées qu’eut le peuple, on peut se créer l’idée de la grande renommée que le théâtre faisait à Gilles de Rais. Nos œuvres si parfaites n’ont point excité un pareil enthousiasme ; car les peuples enfants sont plus faciles à émouvoir que les peuples mûrs.

  1. Sur le Mystère du Siège d’Orléans, on peut consulter Vallet de Viriville, Bibliothèque de l’École de Chartres, 23e année, t. V (5e série), p. 1-17. — H. Tivier, Histoire de la Littérature dramatique en France, depuis ses origines jusqu’au Cid, Paris. 1873, in-8o, p. 280-332. — Du même, Étude sur le Mystère d’Orléans, Paris, 1863, in-8o. — Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. III, p. 332, trois articles.