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GILLES DE RAIS.

courageux capitaines, qui ont jeté leurs sueurs, leur sang et leur vaillante épée dans la balance où se pesait la rançon de la patrie : Dunois, le brave Dunois, d’Alençon, la Hire, Xaintrailles, de Rais et tant d’autres ; hélas ! tous les yeux cherchent encore parmi eux celle qui les a animés et conduits à la victoire, et par qui s’est opérée la délivrance non seulement du foyer domestique et de la ville, mais encore de la France, l’héroïque Pucelle que ce même peuple a reçue à genoux, la douce martyre de Rouen. Mais, au moins, par un retour vers le glorieux passé, on la revoit, grâce à l’imagination, et l’on tâche de se faire, pour quelques heures, une douce illusion sur la réalité de sa mort. Il la salue, ce peuple, en la voyant revenir dans ses murs, entourée des chevaliers ; ils l’acclament, ces capitaines qui ont vaincu par elle, quand ils la voient marcher à leur tête contre le fort Saint-Loup et le fort des Augustins ou des Tourelles. Peuple et seigneurs recommencent cette procession célèbre, qu’elle leur a commandé de faire chaque année, et qui rappelle au vif, comme au jour où elles arrivèrent, et la honteuse défaite des Anglais chassés par la quenouille d’une bergère, et la libération de la patrie sauvée par une intervention divine ; ce long drame enfin, qui remet sous les yeux les émouvantes péripéties du drame véritable, si frais encore dans la mémoire de chacun, fait éclater l’enthousiasme.

C’est donc un côté par lequel le Mystère du Siège d’Orléans, qui s’éloigne tant par les autres des grandes œuvres du théâtre grec et français, se rapproche d’une tragédie antique, et possède un attrait que n’offre aucune de nos tragédies modernes. Dans les principales pièces d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, et dans l’Esther et l’Athalie de Racine, le peuple tout entier est mêlé à l’action. Toujours les intérêts, mis en jeu dans Esther et Athalie aussi bien que dans les Sept devant Thèbes et l’Œdipe-Roi, sont tellement universels, que Eschyle, Sophocle, Euripide et Racine ont exprimé les sentiments du peuple grec ou juif par des chœurs, organes des sentiments de la foule. Mais jamais nation, depuis le peuple