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GILLES DE RAIS.

vins fins, les rafraîchissements de toute espèce, « couraient comme si ç’eust été eau[1] » ; de copieux festins étaient servis ; les tables étaient chargées de viandes recherchées.

Au spectacle de pareilles folies, peut-on s’étonner que cet artiste insensé ait dévoré en quelques années la plus grande fortune peut-être qui fût en France ? On le vit pendant quelques mois demeurer dans Orléans, et le séjour qu’il y fit lui coûta plus de quatre-vingt mille écus d’or, « sans qu’il y eust cause, raison, ni matière qu’il la deust faire, ni qu’il eust dû tenir ». Tout son argent était dissipé en de semblables caprices. Quant au train ordinaire de sa maison, dans sa demeure de Belle-Poigne à Angers, à Orléans, à Nantes dans son hôtel de La Suze, pour "l’entretenir, dit le Mémoire des Héritiers, il était obligé de tout emprunter chez toutes sortes de marchands, « espiciers, boulangiers, taverniers, bouchiers, poissonniers, poullalliers, hosteliers, drappiers, pelletiers et autres semblables ; et achetait les vivres, marchandises, drapperyes, et autres choses, le tiers, voyre bien souvent la moitié ou plus que valloient, et ne luy challoit à quel priz il l’eust, mais que on luy baillast à créance[2] » ; puis, pour payer ses dettes, il vendait, démembrait, donnait pour rien ses magnifiques domaines, dont chaque créancier, comme chien à la curée, emportait un lambeau. À cette vue, sa famille désolée gémissait, et s’irritait de ces « choses qui n’appartenaient point à sa profession[3]. »

Mais qu’importait à Gilles de Rais ? La ruine était loin, au moins dans son esprit. Les trésors épuisés, se rempliraient de nouveau comme par enchantement, grâce à l’alchimie et à la magie. Dieu ne pouvait rien refuser à un de Laval ; et, à défaut de Dieu, il avait le démon, son maître et son patron. Ainsi la ruine serait écartée, et sa gloire demeurerait entière. Car c’était une gloire à ses yeux que d’être l’amphitryon de

  1. Plusieurs, ayant mal lu d’après nous, ont dit « couraient comme en une cave. »
  2. Mémoire des Héritiers, fo 16, vo.
  3. Mémoire des Héritiers, fo. 10, vo.