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GILLES DE RAIS.

De toutes les pièces qu’il a fait exécuter, il n’en est pas une seule dont le nom nous ait été conservé expressément ; mais les plus célèbres de cette époque nous sont parvenues, et il n’y a pas de doute qu’elles n’aient eu ses préférences. De 1420 à 1440 on compte au moins dix grands mystères, parmi lesquels celui du Siège d’Orléans, qui nous intéresse à plus d’un titre. Les farces, les soties et les moralités étaient encore plus nombreuses que les mystères. L’ambition de Gilles ne se bornait même pas à faire jouer les pièces communes et tombées dans le domaine public. Sur la foi des documents originaux, on peut dire qu’il voulut y ajouter encore la gloire de faire travailler les poètes et de passer pour l’inspirateur généreux de l’art dramatique. Le Mémoire des Héritiers, en particulier, sépare ces choses par la différence même des termes ; et, quand on a constaté, par la lecture attentive de ce document, à quel point il est méthodique, précis dans les expressions, soigneusement composé, l’on est confirmé dans cette idée qu’il faut distinguer où l’auteur distingue lui-même. Jamais, en effet, si ce n’est dans les récapitulations, il n’exprime deux fois la même idée : condition essentielle de la clarté dans un travail dont la principale qualité doit être la lumière et la précision dans les termes. Or, on lit, dans un premier paragraphe, au chapitre des folies ruineuses du maréchal « qu’il faisait souvent faire jeulx, morisques, farses et personnages », et dans toute la suite de cette énumération, il n’est question que des choses extravagantes que Gilles faisait faire : habillements, décors, appareils et autres choses semblables. Le paragraphe suivant, au contraire, dit formellement que Gilles faisait souvent jouer divers drames, dont les représentations étaient une source de dépenses ; enfin chacun des paragraphes suivants résume diverses autres folies, toujours soigneusement distinguées, jamais répétées[1]. Ainsi, quoique le fait ne soit pas énoncé en termes explicites, il est assez manifeste, et par la différence des expressions, et par l’idée générale du Mémoire, et par la

  1. Mémoire des Héritiers, fos 9, vo ; 10, ro.