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GILLES DE RAIS.

bleaux les plus divers. En même temps que le théâtre devenait plus populaire, le mystère lui-même, par un même mouvement, prenait, vers la première moitié du XVe siècle, un accroissement considérable, sinon en originalité, du moins en importance. On peut dire même que le mystère du moyen âge, avec les Passions de Metz et de Paris, celle de Jean Michel, d’Angers, que Gilles connut vraisemblablement et fit peut-être jouer ; avec le Mystère du siège d’Orléans surtout, qui avait obtenu et méritait ses préférences, fut le suprême effort du théâtre au moyen âge : s’il n’en est pas le chef-d’œuvre, il en est assurément le monument le plus gigantesque par les proportions. On a beaucoup médit de ce théâtre ; Sainte-Beuve, de parti pris, n’a jamais voulu en considérer la grandeur : cependant y en eut-il un plus national, plus populaire ? En mettant sous les yeux de la foule l’histoire de sa foi ; en exposant à ses applaudissements les objets de son adoration ; en montrant au vif le drame le plus auguste et le plus tragique dont l’histoire ait gardé le souvenir ; en osant lui peindre, avec des formes palpables et vivantes, ses fins dernières, les espérances et les terreurs de la mort et de l’autre vie, le tableau anticipé du jugement dernier, le mystère la remplissait d’une terreur profonde ou d’une douce piété, devenait moral et faisait ainsi monter la scène à une hauteur où elle ne s’est jamais élevée depuis que dans Polyeucte, Esther et Athalie. Voltaire, au XVIIIe siècle, dans ses Mélanges littéraires[1], en jugeait mieux que certains de nos contemporains ; et M. Villemain a écrit sur ce sujet[2], une page que l’on ne saurait lire sans enthousiasme. Dans son œuvre grandiose, le mystère au XVe siècle réunit toutes les beautés dramatiques que célèbre l’éminent écrivain. Ces longs poèmes de vingt mille, vingt-cinq mille, cinquante mille vers quelquefois, contenaient souvent des choses ravissantes. Ils chantaient les gloires de la religion, et même

  1. Des divers changements arrivés à l’art tragique (1761).
  2. V. la XIXe leçon de son livre intitulé : Tableau de la littérature au moyen âge.