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GILLES DE RAIS.

peine alors à marquer lui-même la différence entre le théâtre du moyen âge, où l’on représentait les mystères, et le théâtre moderne, où l’on joue les œuvres de Corneille, de Molière et de Racine.

Deux théâtres, au XVe siècle, s’étaient formés en France ; l’un religieux, dont le dessein était d’instruire le peuple en l’amusant ; l’autre profane, dont le but était de l’amuser, sans prétendre l’instruire, encore moins l’édifier. Ce dernier cependant était né du premier, qui avait lui-même pris naissance dans l’Église. Chez nous, comme en Grèce, le théâtre est sorti du culte. Bien loin de proscrire le drame, l’Église l’a vu naître chez elle, où, dans sa forme primitive, il n’était qu’un spectacle destiné à célébrer, dans le sanctuaire et la nef de nos vieilles cathédrales, les scènes de la Bible et de l’Évangile. De songer, en effet, à reprocher à l’Église de n’avoir pas aimé le glorieux théâtre de la Grèce et de Rome, il ne saurait nous venir même l’idée : pour l’aimer, il eût fallu le connaître. Or, l’œuvre de l’Église n’avait pas été de le sauver du flot barbare : elle avait d’abord à se défendre elle-même contre les persécuteurs, et à former ensuite, par le mélange des peuples nouveaux avec les débris de l’ancien monde romain détruit, la société chrétienne, d’où sortirent les nations de l’Europe moderne[1]. Lorsque, dans une paix assurée et tranquille, elle eut le loisir d’amuser ses enfants, le théâtre antique avait disparu, emporté par le débordement des invasions barbares. Le nouveau théâtre, exclusivement religieux à son origine, comme on le dit aussi de l’ancien, fut adopté par l’Église comme une continuation ingénieuse et originale de l’enseignement destiné au peuple chrétien. Absolument liturgique à ses débuts, n’employant jamais que les termes consacrés par le rituel ou par l’Écriture sainte, exclusivement composé en latin et tout d’abord en prose, peu à peu le drame nouveau, avec le temps, l’imagina-

  1. M. Rosières, Histoire de la société française au moyen âge. Paris, 1880, t. II, p. 236 et suivantes.