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LE THÉÂTRE AU MOYEN AGE.

cette partie si curieuse de ses goûts et de ses folies : il n’y a pas de doute, en effet, que les jeux du théâtre, n’aient été l’une des causes principales de sa ruine, qui le précipita elle-même dans les derniers excès.

Il ne faudrait pas se représenter le théâtre du XVe siècle, tel qu’il fut à Tiffauges, à Machecoul, à Angers, à Orléans, par l’image du théâtre moderne ou contemporain ; pas plus qu’il ne faudrait juger des mœurs de la société du temps de Gilles de Rais par les mœurs du XVIIe ou du XIXe siècle. Non seulement rien ne serait plus faux, mais rien ne serait moins juste. Par les règles, par l’inspiration, par le style, par le décor et le lieu où se joue la pièce, rien n’est plus différent, que l’ancienne et la nouvelle scène française. Les règles de l’unité, formulées par Boileau, observées jadis par Sophocle et Euripide, retrouvées il y a deux siècles par Corneille et Racine, n’avaient point encore établi leur empire. Vaste comme le monde, le théâtre en avait souvent la durée, et en embrassait toute l’histoire. Mais cette histoire, au lieu d’être exclusivement profane, était surtout religieuse : le peuple ignorait le nom des héros grecs et romains ; or, le peuple qui formait le gros des spectateurs comme dans l’antiquité, imposait naturellement au théâtre, à l’insu même des auteurs, ses goûts, sa foi, ses traditions ; il serait demeuré froid en face d’Hector et d’Andromaque[1]. Comme ce peuple aimait la Bible, les pieuses légendes, les histoires des saints et des martyrs, l’inspiration du poète ne pouvait venir d’autres sources, s’il s’agissait de pièces religieuses ; ou encore des mœurs contemporaines, s’il s’agissait de pièces profanes. Quant au style, il fut ce qu’il pouvait être, vu non seulement l’imperfection de la langue, mais encore et surtout le pauvre génie des poètes. La scène enfin sera décrite, lorsque nous aurons à parler des « grands eschaffauts » que Gilles de Rais faisait construire ; et le lecteur n’aura pas de

  1. M. Petit de Julleville, Histoire du théâtre en France, Paris, 1881, 2 vol. in-8o, t. 1, p. 241.