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GILLES DE RAIS.

Or, bien que l’âme de Gilles fût distraite de leurs graves enseignements par ses passions et par ses plaisirs, rien ne pouvait obscurcir certaines lumières de la foi qui projetait d’effrayantes lueurs dans l’abîme où il tombait, et dont nous dirons bientôt, narrateur effrayé, l’épouvantable profondeur. Le sens profond des chants et des prières de l’Église ; le défilé splendide, mais sévère, des processions ; la sévérité des paroles saintes, interprétées par sa foi toujours vivante, réveillaient en lui de cruels tourments ; les enseignements sur Dieu, le bien et le mal, sur l’éternité et le temps ; le son mystérieux des orgues elles-mêmes, ses délices, s’harmonisaient mal avec ses passions tumultueuses, ses désirs immodérés et impatients, ses habitudes secrètes. Au contraire, le bruit des fêtes mondaines, les cris de la foule, les applaudissements des spectateurs, la joie expansive des invités, l’ivresse causée par les vins les plus recherchés, et, plus douce encore, l’ivresse de l’ambition satisfaite, flattaient son âme sans l’attrister, remuaient ses passions sans les combattre, contentaient son ambition sans lui faire un crime de ses désirs. Voilà pourquoi, après sa chapelle, après les cérémonies de l’Église, et plus que toutes ces choses peut-être, Gilles de Rais aima les jeux du théâtre. À ses besoins, le théâtre procurait un remède ; aux joies monotones et fatigantes de la satiété, il offrait des plaisirs nouveaux, piquants, variés ; à son ambition, qui seule s’agitait sous la forme mobile de ses désirs, il donnait des applaudissements, la gloire, une renommée brillante et sans égale. Telles sont les vraies raisons, pour lesquelles Gilles, retiré des camps, devint, de 1432 à 1440, l’un des plus enthousiastes et des plus généreux protecteurs du théâtre ; celui aussi dont la scène française ait le moins lieu de s’honorer.

Un tableau rapide du théâtre français au moyen âge, et en particulier du théâtre durant les premières années du. XVe siècle, fera comprendre la passion de Gilles de Rais pour les représentations de la scène, et jettera de la clarté sur