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CHAPITRE III.

difiée ; la suprématie de la religion est pleinement reconnue ; la race des conquérants est soumise, sans révolte, à son divin vasselage. Mais, par cette obédience volontaire, elle n’a point humilié son courage, ni amolli sa vaillante énergie. Ainsi, le christianisme en est encore à la première époque de sa domination. L’église règne et ne gouverne pas ; c’est un beau moment d’harmonie entre la puissance de l’homme et l’esprit de Dieu ! Voyez plutôt ce qui résulte de cette merveilleuse alliance ; l’enfer tout entier s’en indigne ! et le principe du mal, obligé de défendre la double puissance matérielle et spirituelle sous laquelle il a jusqu’alors tenu le monde asservi, emploiera la force aussi bien que la ruse dans l’intérêt de sa haine : Richard sera défié par le démon en personne, et obligé de se mesurer avec lui en combat singulier. Mais l’invincible héros est à la hauteur de sa tâche surnaturelle ; il réunit le zèle religieux, la pieuse confiance de l’apôtre, au courage invincible, à l’intrépidité audacieuse du conquérant ; c’est un modèle parfait de chevalerie, taillé dans l’étoffe d’un guerrier franc ou d’un pirate norwégien.

Le récit des divers assauts que le démon livre à Richard constitue le fond principal du roman que nous allons analyser. Dans les idées de notre époque, ce cadre merveilleux doit dérober, au caractère de notre héros, une partie de sa signification intelligente ; mais le moyen-âge ne jugeait point ainsi. Peut-être même trouvait-il une moralité de plus à voir l’esprit du mal vaincu sous la forme matérielle et hideuse à l’aide de laquelle il se révélait alors, pour porter l’épouvante et le trouble dans les consciences.

En effet, la prodigieuse intrépidité de Richard à l’encontre des attaques diaboliques, fournit à ses historiographes un thème de louanges redondantes, où leur verve ne semble jamais s’épuiser. Non content de faire face bravement au péril, notre héros est représenté courant à sa rencontre avec un fanatisme de courage qui tient à la fois de la vertu de l’archange et de l’aveuglement du fou. Si bien que Richard Sans-Peur pourrait