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LÉGENDES MERVEILLEUES.

bandonner quelque portion de ses terres riveraines. Il ne portait pas non plus alors le nom de Sainte-Adresse, mais celui de Saint-Denis-Chef-de-Caux. Comment s’est-il laissé déposséder de son ancien patron, pour y substituer une patronne assez peu orthodoxe ? ceci est une piquante histoire, qui méritait d’être conservée par la tradition :

Un jour que la mer était dans sa plus grande fureur, un vaisseau vint à dériver vers la côte de Saint-Denis, avec une violence à laquelle il semblait que toute la science des marins, jointe aux infatigables efforts de leur courage, n’aurait pu opposer aucune résistance. L’équipage et le pilote, n’imaginant plus de ressources, avaient interrompu leurs manœuvres, et s’étaient jetés à genoux pour implorer la protection de saint Denis. Mais, tandis qu’ils priaient, le vaisseau abandonné à lui-même dérivait encore avec plus de rapidité vers la côte. Le capitaine, qui seul avait conservé sa présence d’esprit, fut saisi d’une violente colère en voyant l’effet de cette prière inopportune. Il se met à menacer et à tempêter plus haut que la mer ; les jurements font brèche à travers les saintes litanies ; enfin, il secoue si vaillamment son équipage, qu’en un instant toute lâche torpeur est dissipée. Alors, il s’empare lui-même du gouvernail pour prêcher d’exemple : « Et, maintenant, à l’ouvrage, s’écrie-t-il : si quelque chose peut nous sauver, c’est l’assistance de sainte Adresse, sans quoi nous sommes infailliblement perdus. » Le capitaine disait vrai ; sa courageuse résolution fût couronnée d’un plein succès : le vaisseau, tiré des bas-fonds les plus dangereux, échappa à la tourmente. Depuis ce temps, saint Denis fut déposé de son protectorat ; sainte Adresse devint la patronne du village, et la tradition ajoute, ce qui est fort croyable, qu’elle fit encore bon nombre de miracles aussi manifestes[1].

  1. F. Shoberl, Excursions in Normandy, vol. i, p. 164.