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LÉGENDES ROMANESQUES.

saient peut-être d’une manière moins discrète encore que tendre et passionnée. L’empressement de tous ces cœurs épris, loin de flatter et de satisfaire le roi, en lui permettant de ne s’arrêter qu’au plus noble choix pour l’époux qu’il destinerait à sa fille, ne lui occasionnait, au contraire, qu’une vive impatience et un sombre chagrin. C’est que ce père, exclusif et jaloux dans son amour, ne pouvait envisager l’idée de se séparer de celle qui lui était si chère, et d’abdiquer les droits qu’il possédait sur elle, en faveur d’un étranger, qui, jamais, pensait-il, ne saurait reconnaître un si grand sacrifice.

Cependant, sachant que ses sujets blâmaient hautement déjà l’égoïsme de sa tendresse paternelle, et voulant faire taire leurs murmures et se mettre à l’abri de leurs reproches, le prince des Pistréiens résolut d’imaginer quelque épreuve insurmontable, qu’il proposerait aux nombreux concurrents à la main de la jeune princesse. En effet, il était alors d’usage de soumettre, à des épreuves plus ou moins difficultueuses, les chevaliers qui aspiraient à obtenir pour épouse une jeune et noble damoiselle. On trouvait, à ces sortes de concours, un double avantage : c’était de rehausser d’abord le mérite de celle qui devait les couronner, et d’offrir ensuite, aux vaillants rivaux, une occasion toute naturelle de mettre en évidence le téméraire emportement de leur amour.

Donc, ayant mûrement réfléchi sur son projet, le roi fit publier, dans tout son domaine : Qu’il était prêt à marier sa fille ; mais qu’il ne l’accorderait, cependant, qu’au chevalier qui aurait assez de force et de courage pour la porter dans ses bras, sans s’arrêter un seul instant en route, jusqu’au sommet de la haute montagne, voisine du château. Quand cette nouvelle se fut propagée, il s’éleva un concert de furieuses imprécations parmi les prétendants de la jeune châtelaine. Toutefois, ces fiers rivaux maudissaient bien la haine jalouse du vieillard, mais ils n’essayaient point d’en déjouer la ruse, en déclarant qu’ils étaient prêts à tenter l’épreuve prescrite. Je me trompe : un jeune seigneur, qui se sentait plus coura-