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CHAPITRE XXI.

ressentiment qu’il avait fait naître dans l’ame du roi, résolut prudemment de s’exiler, et passa dix années loin de son pays, à combattre les infidèles. Après ce laps de temps, il dut croire la colère de son souverain apaisée, et muni, d’ailleurs, d’une lettre de recommandation, que lui avait accordée le pape Agapet, en récompense des nombreux services qu’il avait rendus à la foi, il revint à Soissons, capitale des états du roi Clotaire. Ayant appris, à son arrivée, que ce prince se rendait à la cathédrale pour assister à l’office du vendredi saint, Gautier voulut profiter de cet incident favorable ; il se rendit dans l’église, s’approcha du roi, et se jeta à ses pieds pour obtenir paix et réconciliation ; mais la vue de son ancien ennemi réveillant soudainement la fureur de Clotaire, celui-ci se saisit de l’épée d’un de ses écuyers, et, sans s’arrêter à la lettre du pape, sans réfléchir à l’énormité du sacrilège qu’il allait commettre, il frappa à mort l’infortuné Gautier. Cependant, le pape, instruit de ce meurtre et des monstrueuses circonstances qui l’avaient accompagné, menaça Clotaire d’excommunication, s’il ne se soumettait à une pénitence proportionnée à son crime. C’est alors que ce prince, tant pour complaire au chef de l’église que pour donner satisfaction à l’ombre irritée de sa victime, érigea le territoire d’Yvetot en royaume[1].

Cette tradition, comme on doit le supposer, a été vivement controversée par de savants critiques, entr’autres par l’abbé de Vertot, dans une Dissertation insérée dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. En effet, outre qu’il s’y rencontre une circonstance évidemment fausse : la croisade de Gautier contre les infidèles, ce récit ne s’appuie d’ailleurs sur aucun fondement certain, puisqu’il n’est aucun historien, contemporain de Clotaire i et du pape Agapet, qui en fasse mention. Le premier auteur qui rapporte cette histoire,

  1. La date de la mort de Gautier n’est pas exactement précisée ; quelques auteurs la placent en 533, d’autres en 534, en 536 et même en 539.