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CHAPITRE XIX.

ne s’inquiétant pas, pour le moment, de demander son reste. De son côté, saint Taurin, curieux de conserver son étrange et glorieux trophée, le fit soigneusement déposer dans les souterrains de la nouvelle église. Depuis lors, on entendit, chaque nuit, une voix retentissante, qui s’élevait de ces profondeurs, s’écrier, sur tous les tons de la supplication, du dépit et de l’impatience : Taurin, Taurin, rends-moi ma corne ! Malgré ces réclamations énergiques, la corne fut conservée jusqu’au siècle dernier, à l’abbaye d’Évreux, où elle se voyait encore. On assure même que le miracle n’avait pas discontinué, quoique la corne fût devenue plus habituellement silencieuse ; car il suffisait de l’appuyer contre son oreille pour entendre répéter, à travers un mugissement étouffé et plaintif : « Taurin, Taurin, rends-moi ma corne[1] ! »


légende de saint gerbold.


On n’a point de renseignement précis sur le lieu de la naissance de saint Gerbold ; on sait seulement qu’il vivait dans le septième siècle. Après avoir quitté son pays natal, il se fixa en Angleterre chez un puissant seigneur. Cette maison lui avait été d’abord hospitalière, mais il en fut chassé par une aventure navrante, semblable à celle qui valut à Joseph la prison d’Égypte. Non moins crédule et plus cruel encore que son prédécesseur de l’ancien Testament, l’époux, abusé par une dénonciation hypocrite, s’imagina, pour satisfaire son ressentiment, d’attacher une meule au cou de saint Gerbold, et de le précipiter à la mer. Vains efforts d’une vengeance aveugle ! La pierre se détacha d’elle-même, perdit sa pesanteur naturelle, et, flottant sur les eaux, légère comme une feuille de liège, offrit au saint une barque providentielle qui le conduisit paisiblement vers les côtes du Bessin. On était aux jours les plus rigoureux de l’hiver ; et cependant, à peine Gerbold fut-il des-

  1. Le chevalier Masson de Saint-Amand, Essais sur le Comté d’Évreux, première partie, p. 143, notes.